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Bertrand, charme roi

Par Théo Denmat
Bertrand, charme roi

Au cœur du quatuor, on a longtemps cru qu'il était le joueur de triangle. Bertrand Traoré n'est sûrement pas l'instrumentiste le plus cher de l'orchestre offensif lyonnais, mais il en est pourtant ces dernières semaines l'un des plus talentueux solistes. C'était pourtant simple : il ne demandait qu'une place sur le devant de la scène. En attaque, oui.

Pour devenir Super Saiyan 2, Sangohan a dû attendre que son ami C-16 meure sous ses yeux. Pas super sympa. Certaines transformations, c’est ainsi, doivent s’opérer par le prisme d’un épisode douloureux, et merci Cell. Une rupture amoureuse, par exemple, permet parfois de prendre conscience que cette coupe de cheveux n’avait aucun sens. Dans le football, la défaite est de la même façon souvent synonyme de changements, comme la confirmation par les preuves que quelque chose nécessite d’être modifié. Mais prenez cette anonyme 32e journée de Ligue 1, le 8 avril 2018 dernier. Ce jour-là, un incendie faisait une victime à la Trump Tower, le marathon de Paris claquait une référence à son nombre de kilomètres en célébrant sa 42e édition, et Peter Sagan s’apprêtait à gagner son premier Paris-Roubaix au sprint.

En bref, un jour plutôt exceptionnel peuplé d’une foule de chiffres oubliables, sur lequel la chance du joueur de loto n’aurait aucune raison particulière de s’arrêter, ni aucune autre de passer son chemin, d’ailleurs. Pourtant ce jour-là, Bertrand Traoré a décroché le gros lot sans même avoir acheté de ticket. Le 8 avril 2018, donc, Bruno Génésio a attrapé un stylo à bille bleu de piètre qualité, en a machouillé vigoureusement la gomme, et couché un 4-4-2 losange sur la composition de départ de l’OL face à Metz. Le premier gagnant de ce changement ? Le Burkinabé, devenu le principal danger offensif rhodanien depuis son repositionnement en attaque et au cœur du jeu.

Six à la suite

Il suffit de brandir ses dix petits doigts : en comptant ce déplacement à Metz duquel on avait d’abord eu tendance à ne retenir que la prestation XXL de Memphis Depay (4 passes décisives et 1 but, score final 5-0), Lyon a joué six fois. En six matchs, Bertrand Traoré a toujours été titularisé aux côtés du Néerlandais sur le front de l’attaque, pour six buts et une passe décisive. À titre de comparaison, l’ancien bébé de Chelsea avait inscrit sept buts au cours des trente-deux journées précédentes, freiné il est vrai un mois et demi par une torsion du genou. Révélation pour certains, confirmation pour lui, le bonhomme ayant d’ailleurs déclaré de longue date « préférer jouer dans l’axe » et, à défaut, « lorsqu[’il] est sur un côté, préférer le côté droit » . En gros, plus Nadal que Navas dans le style, préférant les coups droits décroisés aux centres au bout de la ligne de touche.

Et comme un nouveau venu dans le roulement de la Coupe Davis, ce repositionnement a poussé de fait Mariano Díaz vers le banc, se contentant de quelques entrées récentes aux alentours du dernier quart d’heure. Autre particularité du néo-buteur : Traoré marque tard, et de manière ciblée. Cette saison en Ligue 1, le gaucher a marqué dix de ses treize buts dans deux plages de temps parfaitement distinctes : quatre entre la 20e et la 30e minute, six entre la 65e et la 75e minute. Une récurrence de métronome ironiquement paradoxale pour quelqu’un dont on a longtemps jeté l’inconstance au visage cette saison, à raison.

Paresseux, « son style »

Alors quoi ? On parle de chiffres, évoquons l’homme. Désormais au cœur du quatuor le plus prolifique de l’histoire du club sur une saison de Ligue 1, Bertrand Traoré représente probablement l’élément que l’on attendait le moins à ce niveau. Il n’avait pas le passif de Fekir, ni les promesses collées au cul de Mariano, et encore moins la réputation de Depay. Et après deux saisons passées en Eredivisie, dans un championnat glorifié pour sa fluidité technique, l’adaptation physique à la Ligue 1 était loin d’être faite. « Je le vois déjà tacler beaucoup plus que quand je l’avais sous mes ordres. Il commence à être plus dur dans les duels » , confiait Gernot Rohr, sélectionneur du Burkina Faso en 2015, à So Foot en novembre dernier.

Une belle progression pour un type souvent décrit comme nonchalant, ce à quoi il répondait au début du mois : « On me pointe souvent du doigt parce qu’on me trouve trop nonchalant, trop paresseux ou trop relax sur le terrain, mais c’est mon style ! C’est en moi depuis tout petit. C’est ma manière d’être, de jouer, et même dans la vie courante, je suis ainsi. Je prends du plaisir comme cela. À la base, je suis un joueur qui fait jouer les autres et qui aime beaucoup combiner. » Nouvel exemple ce soir face à Nice, pour un combat décisif en vue de la prochaine saison. En espérant une nouvelle transformation en buteur Super Saiyan, afin d’assurer une place qualificative en C1 à l’OL et le pactole financier qui va avec. Juste histoire de venir mettre son petit grain de Cell dans cette fin de championnat, en somme.

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