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Beitar Jérusalem : un cheikh et une révolution

Par Adrien Candau
Beitar Jérusalem : un cheikh et une révolution

Autoproclamé « club le plus raciste du pays » à l'encontre des populations arabes par une frange de ses supporters, le Beitar Jérusalem a été racheté à 50% en décembre par le cheikh émirati Hamad ben Khalifa Al-Nahyan. Un homme d'affaires qui compterait investir 76 millions d'euros dans le club, dans la décennie à venir. Peut-être de quoi remobiliser massivement les supporters du Beitar, qui ne veulent plus que leurs voix soient noyées par une minorité de fans, dont les discours radicaux ont sévèrement entaché l'image de leur club.

La formule est naïve, mais ça, Moshe Hogeg s’en moque sûrement. À seulement 39 ans, celui qui préside le Beitar Jérusalem depuis 2018 sait qu’il a déjà réussi à faire bouger les lignes d’un club qu’il s’était promis de réformer en profondeur. Alors que le grand manitou du Beitar vient de vendre 50% des parts du club de la capitale au richissime émirati Hamad ben Khalifa Al-Nahyan, l’homme d’affaires israélien se félicitait en ces termes de la portée symbolique de l’accord : «  Le cheikh Hamad et moi-même voulons montrer au monde que les juifs et les musulmans peuvent faire de belles choses ensemble et inspirer la jeune génération. L’image raciste du Beitar était l’un des éléments clés qui m’a amené à acheter ce club. J’adore le football et je pensais qu’acheter le Beitar était une opportunité pour régler ce problème de racisme, qui entache la réputation de l’équipe. Et de faire quelque chose de plus grand que le football, en tant que tel. »

Révolution arabe

Une annonce qui n’a rien d’anodin. Le vent du changement soufflé par la doublette Hogeg-ben Khalifa pourrait même avoir des airs de tempête destructrice, pour certains fans du Beitar. Surtout pour ceux qui appartiennent à sa frange ultra, la célèbre Familia. Auto-revendiqué raciste à l’égard des populations arabes, ce groupe de supporters est devenu tristement célèbre grâce à ses slogans haineux du type « Je déteste tous les Arabes » ou « Mahomet est mort ». Minoritaire, mais très bruyante et activiste, la Familia a manifestement réussi à plier à sa volonté les dirigeants du club, lors de la dernière décennie. En 2013, la direction du Beitar avait notamment recruté deux joueurs tchétchènes de confession musulmane, avant de se séparer rapidement des deux footballeurs, à la suite des pressions en tous genres du groupe ultra.

De fait, le Beitar est historiquement le club le plus proche de la droite identitaire israélienne. Fondée en 1936, la formation de la capitale – seul club de la ligue israélienne à n’avoir jamais accueilli de joueur arabe dans ses rangs – est créé par David Horn, un leader de la section jeune du parti sioniste révisionniste. Cette formation nationaliste inspirera plus tard la création du Likoud, le parti de l’actuel Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou. Ironiquement, c’est la politique de ce dernier qui a indirectement conduit au rachat du Beitar. En août dernier, Israël signait en effet avec les Émirats arabes unis les accords d’Abraham, un traité de paix qui normalise formellement les relations entre les deux pays.

« À la suite de cet accord, de nombreux hommes d’affaires israéliens se sont rendus aux Émirats Arabes-Unis pour tenter de trouver des fonds et dégager des opportunités entrepreneuriales. Moshe Hogeg était l’un d’entre eux  », rembobine Itsek Alfasi, un fan du Beitar Jérusalem, qui avait créé en 2014 le club du Beitar Nordia. Cette formation, qui évolue aujourd’hui en D3, vise à rassembler derrière une nouvelle équipe les supporters qui ne peuvent plus supporter les exactions de la Familia. Pour Alfasi, l’annonce de rachat du Beitar est une opportunité pour cette base de fans, majoritaire et invisibilisée médiatiquement par les outrances de la Familia, de reprendre le pouvoir sur le narratif et l’image du club. Illustration le 11 décembre, lors d’un entraînement du Beitar : une dizaine de membres de la Familia se pointait alors pour protester de manière véhémente contre l’arrivée du cheikh Hamad ben Khalifa au capital de leur écurie. Le groupe ultra se voyait alors opposer une contre-manifestation d’une centaine de fans, venus soutenir la politique de l’actuelle direction. Parmi eux, Netanel Avraham, un supporter qui expliquait au Times of Israël vouloir « qu’on sache que le Beitar Jérusalem n’est pas une équipe de racistes ». « Je veux que cette stigmatisation soit éliminée, développait-il. Nous espérons que ce nouveau copropriétaire nous emmènera loin. »

La cassure de 2013

Faut-il néanmoins s’inquiéter de la réaction à venir de la Familia, quand les stades israéliens – actuellement fermés pour cause de coronavirus – seront de nouveau ouverts au public ? À en croire Itsek Alfasi, la base de fans majoritaire est en tout cas déterminée à se réapproprier un club qu’elle a senti lui échapper, ces dernières années : « Ce qu’il s’est passé en 2013 avec les deux joueurs tchétchènes, qui ont dû quitter le club à cause de la Familia (N.D.L.R., les bureaux du club avaient été incendiés, alors que les deux joueurs faisaient l’objet d’un harcèlement constant de la part du groupe ultra) a provoqué une forme de cassure auprès de certains fans. Une minorité de supporters violents ont gagné contre une majorité de fans pacifiques et tolérants. C’est la Familia qui est ressortie gagnante de cette bataille identitaire. » L’incident, relaté dans le documentaire de 2015 « Forever Pure » , qui illustrait les débordements racistes de la Familia, aurait eu le mérite de servir de révélateur à de nombreux supporters du Beitar. « À l’époque, ces fans du Beitar n’ont pas assez parlé et agi, et c’est comme ça que la Familia a gagné. Mais cette fois-ci, c’est différent, promet Alfasi. Cette majorité de supporters a compris qu’elle ne pouvait plus observer de côté ce qu’il se passait. »

Le stade du changement

Selon Alfasi, le rachat du Beitar est ainsi favorablement accueilli par de nombreux fans du club, notamment du fait du montant des investissements annoncé : Hamad ben Khalifa Al-Nahyann se serait engagé à investir 76 millions d’euros dans l’équipe lors de la prochaine décennie, une somme très importante, à l’échelle du football israélien. La suite s’annonce tempétueuse, mais excitante, pour un club qui vient peut être de négocier un tournant majeur de son existence. Le cheikh Hamad a, lui, déjà suggéré que le Beitar pourrait prochainement recruter un joueur arabe, le premier de l’histoire du club. « La porte est ouverte à tout le monde, à tout joueur talentueux, peu importe d’où il vient ou quelle que soit sa religion, assurait le businessman émirati. Notre politique est basée sur le mérite. » Itsek Alfasi veut croire que la première pierre du renouveau du club est déjà posée : « Je ne suis pas allé au stade depuis 2015, à cause de ce qui a pu se passer au Beitar ces dernières années. Mais, quand ce sera possible, je pense que j’irai voir le Beitar jouer, pour soutenir ces changements récents. Je crois qu’il est aussi temps pour cette majorité de fans du Beitar, non raciste et pacifique, de se réapproprier le stade. » Mieux vaut Beitar que jamais.

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Par Adrien Candau

Propos d'Itsek Alfasi recueillis par AC

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