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Ballon d’or, vous pouvez répéter la question ?

Par Adrien Candau
Ballon d’or, vous pouvez répéter la question ?

Liverpool, dans le sillage de Van Dijk, Salah, Mané et consorts, a ébahi l'Europe. Mais c'est Messi, encore lui, qui repart avec la sphère dorée sous le bras. Ce qui amène à se poser une question existentielle : pour quoi votent donc les électeurs du Ballon d'or ? S'agit-il bien d'élire le meilleur joueur du dernier exercice ? Ou bien alors de récompenser le meilleur joueur du monde, dans l'absolu ?

Sur le papier, le concept est d’une simplicité enfantine. Sacrer le meilleur joueur du monde. Bon. Voilà une chose bien puérile et vaine, dans un sport aussi complexe et collectif que le football, mais admettons. Admettons que chaque année, un mâle alpha de la meute footballistique puisse être distingué, couronné, iconisé à la lumière d’un talent individuel qui mériterait qu’on l’érige au-delà de l’équipe dont il est issu. Voilà le récit que raconte le Ballon d’or depuis 1956, une histoire simpliste, mais séduisante, où le temps d’une nuit puis de quelques journées de grand déballage médiatique, on nous serine que le football se résume parfois à un seul surhomme.

L’homme d’une équipe

Tout est faux, bien entendu, mais la récompense a au moins longtemps eu le mérite de tenter de répondre avec une relative efficacité à une question : quel joueur, moyennant un paquet de critères éminemment subjectifs, avait été le meilleur au monde, sur un exercice complet ? Une interrogation dont la réponse fut aussi longtemps conditionnée par plusieurs éléments objectifs, comme le palmarès acquis lors de la période de temps concernée. Illustration dans la décennie 2000 : Michael Owen, vainqueur de la League Cup, de la FA Cup et surtout de la Coupe UEFA en 2001 avait glané le trophée la même année, avant d’être suivi de Ronaldo en 2002, tout juste auréolé d’un titre mondial avec le Brésil.

Son successeur, Pavel Nedvěd, était, lui, récent finaliste de la C1 (il ne l’a pas disputée, car suspendu, mais il avait été l’homme du match en demies contre le Real) et champion d’Italie avec la Juventus. En d’autres termes, le Ballon d’or obéissait encore à une forme de logique interne, en récompensant le meilleur joueur de la meilleure équipe du dernier exercice, ou du moins celle qui avait le plus marqué les journalistes votants. Paradoxalement, la réussite d’un groupe, celui dont était issu le gagnant, pesait ainsi dans l’attribution d’un sacre individuel, chose évidemment bienvenue compte tenu du caractère collectif du jeu.

La fracture Sneijder, le faux espoir Modrić

Puis, l’année 2010 est arrivée, et les journalistes ont en grande partie perdu la main, les capitaines de sélections nationales et les sélectionneurs participant désormais eux aussi à l’attribution du trophée. Voilà comment Wesley Sneijder, pourtant auteur du triplé C1-championnat-coupe avec l’Inter et finaliste du Mondial avec les Pays-Bas, se voyait ravir un sacre qui semblait lui revenir naturellement. Dès lors, ces nouveaux votants ne semblaient plus répondre à la question de savoir qui avait été le meilleur joueur de football lors du dernier exercice. Ils se contentaient, semble-t-il, de glorifier celui qui était le meilleur joueur de football tout court, sans élément contextuel, sur la base du pur talent brut. À ce petit jeu-là, deux hommes pouvaient se passer le témoin sans sourciller : Cristiano Ronaldo et Lionel Messi. Un duopole devenu presque gênant, heureusement brisé par Luka Modrić. Un type qui ressuscitait l’idée d’un Ballon d’or à l’ancienne, désormais établi depuis 2016 par un panel de journalistes internationaux, supposément plus spécialistes et portés sur l’idée que la récompense doit magnifier le talent d’un joueur épanoui au sein d’un collectif qui aura marqué les esprits.

Une bouffée d’air frais illusoire : c’est donc Lionel Messi qui a remporté le trophée tant convoité cette année. Lionel Messi, dont le Barça s’est fait copieusement humilier par le Liverpool de Jürgen Klopp en demi-finales retour de C1 cette saison. Une équipe de Liverpool où évoluaient, entre autres, Virgil van Dijk, peut être le seul stoppeur du monde qui dégage par moment une dimension de quasi-invulnérabilité, Mo’ Salah, et Sadio Mané, vainqueur de la C1 et finaliste de la dernière Coupe d’Afrique des nations. Et alors ? Lionel Messi, lui, a marqué 54 buts en 58 matchs toutes compétitions confondues. Tant pis si personne ne se souviendra de son Barça cuvée 2019 ou de l’Argentine à la Copa América, défaite facilement par le Brésil en demi-finales, avec Messi brassard de capitaine abandonné au bras. Lionel Messi est le meilleur footballeur du monde, avec Cristiano Ronaldo, oui. Mais a-t-il été le joueur qui a eu le plus d’impact, sportivement et émotionnellement, sur le football européen et mondial, lors du dernier exercice ? Bien sûr que non. Mais ça, ça n’a plus d’importance. Même les journalistes remettant le trophée ont manifestement arrêté de se poser cette question, la seule, pourtant, qui octroyait un minimum de crédibilité à une récompense qui n’en a de toute façon jamais beaucoup eu.

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