- Ligue des nations
- Gr. 2
- France-Belgique
Antoine Griezmann, encore dans la grisaille
Opposée à la Belgique trois jours après son échec face à l’Italie, l’équipe de France continue de se chercher, dans la lignée d’un Euro décevant. À l’image d’Antoine Griezmann, dont on ne connaît plus vraiment le rôle et le statut, et qui devrait débuter sur le banc contre les Diables rouges.
Le geste le plus décisif d’Antoine Griezmann dans ce rassemblement international a peut-être été fait ce dimanche dans une interview accordée à Téléfoot. Face aux caméras de TF1, il a répété à l’envi son désir d’évoluer dans l’axe, tout autant que son besoin d’être bien dans sa tête pour évoluer à son meilleur niveau. Des messages ni subliminaux ni anodins quand on sait à quel point le Madrilène a souvent privilégié le collectif à ses propres intérêts, mais aussi compte tenu de sa relation unique avec Didier Deschamps, qui n’apparaît plus aussi fluide depuis plusieurs mois. Vendredi contre l’Italie, c’est bien l’axe qu’il occupait, sans pourtant y flamber, son influence s’étiolant au fil des minutes, à l’image de son équipe. Mais ce match, il aurait surtout dû le commencer sur le banc – comme il le fera peut-être ce lundi soir contre la Belgique –, alors qu’il n’a dû sa titularisation au Parc qu’au forfait de Randal Kolo Muani, malade.
Des airs de révolution automnale, car Griezmann débute rarement sur le banc, sauf à l’occasion du dernier Euro, moyen de la part des Bleus et médiocre pour lui, mais aussi parce que Michael Olise était destiné à occuper ce poste axial dès le coup d’envoi. Finalement décalé sur le côté, le néo-Bavarois a tout de même bénéficié d’un privilège rare, celui d’être titulaire pour sa première sélection. Le dernier concerné se nommant Warren Zaïre-Emery, avec un contexte et un adversaire (Gibraltar) différents. Mais sous Deschamps, les attaquants ayant commencé leur carrière internationale par une titularisation se comptent sur les doigts d’une main. Olise donc, mais aussi Christopher Nkunku, Marcus Thuram et… Antoine Griezmann. En 12 ans, c’est peu, mais surtout révélateur de la confiance qu’accorde, ou qu’a envie d’accorder, Deschamps à Olise.
De bol d’air frais à asphyxie
Contrairement à Kylian Mbappé, l’autre grand cadre des Bleus en délicatesse, Griezmann sait où il veut/doit jouer pour briller. Et contrairement au capitaine, qu’il aurait aimé être, on a rarement pu lui reprocher de s’oublier pour les tâches défensives. Alors d’où vient le problème, d’autant qu’il donne l’impression d’être lui-même dans l’impasse, comme en témoigne son avis sur son Euro : « J’ai essayé de m’adapter, mais ça n’a pas été ma meilleure compétition. » Transformé en milieu relayeur pendant le Mondial qatari, il est depuis revenu quelques mois à des positions plus offensives, sans efficacité. S’il a été privé de coups de pied arrêtés contre l’Italie, l’une de ses armes favorites, il a surtout perdu sa réussite devant le but. Depuis 2022, il ne compte que deux buts en sélection, le dernier le 12 septembre 2023, soit presque un an, sur penalty. Dans le jeu, il faut remonter à mars 2023, et Griezmann se dirige tout doucement vers une deuxième année blanche en trois ans avec la France s’il ne marque pas d’ici décembre, après 2022. Une statistique surprenante pour un joueur qui en a planté 24 en 48 matchs en club la saison dernière, même s’il n’a pas le monopole de la sinistrose en Bleu (coucou Marcus Thuram et les autres).
« Compliqué… parce que ça a été beaucoup de changements de positions, de changements tactiques donc voilà fallait faire avec… »
Antoine Griezmann se confie sur l’Euro 2024 et son positionnement dans le jeu au micro de @SaberDesfa pic.twitter.com/PSz1xDgLhA
— Téléfoot (@telefoot_TF1) September 8, 2024
Malgré ses dires, on dirait bel et bien que Griezmann doute lorsqu’il remet les pieds à Clairefontaine, l’effet inverse de ce que l’on a connu ces dernières années, lorsque la sélection représentait son bol d’air en plein spleen barcelonais ou durant sa rédemption madrilène. Certains diront qu’il éprouve peut-être une certaine lassitude, à l’heure de passer du football made in Simeone au football fabriqué par Deschamps, tous deux réputés défensifs. Mais même stéréotypé et rébarbatif, quoique plus attrayant que sa légende ne veut le faire croire, le football du Cholo a au moins pour lui de suivre un cap clair et de mettre Griezmann dans les meilleures conditions. Baladé dans tous les sens par « DD », il est fixé dans cet axe qu’il chérit tant avec l’Atlético, parfois même en avant-centre s’il le faut.
Les affres du temps
Au micro de Téléfoot, il a parlé d’une « nouvelle attaque », soulignant l’absence désormais d’Olivier Giroud, meilleur buteur de l’histoire des Bleus. « On n’a plus Oliv’, on a plus ce 9 qui reste entre les deux centraux », a-t-il notamment remarqué. Des arguments fondés, sauf qu’après une première période de turbulences entre 2020 et 2021, Olivier Giroud n’avait plus rien du 9 titulaire des Bleus depuis le Mondial 2022. Alors Griezmann pourrait-il simplement être dépassé par un projet de jeu certes flou, mais qui a évolué et ne se repose plus sur les mêmes cadres que durant les plus belles heures de l’ère Deschamps. Hugo Lloris, Raphaël Varane, Steve Mandanda, et maintenant Giroud hors jeu, Griezmann fait figure de dernier des Mohicans (sauf si vous tenez à compter le taiseux N’Golo Kanté). Avec l’émergence de nouveaux leaders, le Mâconnais semble perdre en influence. Mike Maignan prend par exemple de plus en plus de place, quand Dayot Upamecano répète qu’il veut gagner en leadership et que Kylian Mbappé représente une figure très suivie.
En équipe de France depuis 2014, Grizou a-t-il toujours autant à donner à une relation qui lui a tout de même globalement apporté beaucoup plus de succès que de déceptions ? Chouchouté des années durant par Didier Deschamps, il semble bien moins en odeur de sainteté ces derniers temps. Peut-être sa série de 84 sélections ininterrompues a-t-elle eu un effet pervers sur la lecture de son rendement. Peut-être que 10 ans, ça use. Oui, il a apporté du liant aux Bleus, a changé de poste, mais il ne s’est plus nourri de ce qui gave un attaquant : être décisif. Oui, l’équipe de France a souvent bien joué lorsqu’il en a fait de même, mais combien de fois l’a-t-il fait récemment ?
Se pose également la question de la gestion des cadres par Didier Deschamps. Lui, l’homme qui a toujours fait de la loyauté une valeur cardinale, semble ces dernières années offrir un traitement particulier à certains de ses historiques. Après le déclassement progressif d’Olivier Giroud, celui plus brutal (qui peut n’être que temporaire) de Benjamin Pavard, absent de la dernière liste, les piliers du sacre mondial de 2018 subissent un management bien plus tranchant du boss, et le tour d’Antoine Griezmann semble être venu. Prendre la liberté de remettre en question le style « chiant » des Bleus n’était peut-être pas au goût du Basque, et cette sortie a sûrement laissé des traces, même si le joueur a rappelé son « immense respect » envers son sélectionneur à qui il doit « énormément » et que le garçon garde son sourire en façade. Dans une mauvaise passe, Didier Deschamps va devoir changer des choses pour relancer la machine bleue. Faudra-t-il accepter de faire sans le principal atout de son mandat ou, au contraire, lui redonner les clés du camion pour qu’il puisse à nouveau s’y épanouir ? Dans tous les cas, comme le dit Griezmann, « ce sera à Deschamps de choisir ».
Par Julien Faure