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Auxerre, la noce rebelle

Par Maxime Brigand
Auxerre, la noce rebelle

Il y a en façade un club historique, qui se bat pour lancer pleinement sa saison en Ligue 2 et qui tente surtout d’embrasser de nouveau son passé. Et puis il y a les coulisses : un président isolé, une vente qui traîne et des monuments qu’on veut faire taire. La Bourgogne bouchonnée.

C’est peut-être là que tout a commencé. Sous le soleil parisien, Guy Roux, pull violet sur chemise blanche, offre son verbe à l’air grave de Guillaume Larrivé, le député de l’Yonne et conseiller municipal d’Auxerre. Autour d’eux, le casting est total : Jean-Pierre Soisson, Julien Dray, Jean-Marie Le Guen, Jean-Louis Borloo, Dominique Strauss-Kahn, Basile Boli, l’historique Jean-Claude Hamel ou encore Pierre Lescure. Seul Gérard Bourgoin manque au rendez-vous, mais bon. L’air est solennel, et les souvenirs défilent sur le parvis de l’église Saint-Honoré d’Eylau du XVIe arrondissement de Paris. Une dizaine de jours plus tôt, l’AJ Auxerre avait plutôt la tête à la fête. C’était un jour de finale de Coupe de France contre le PSG, la sixième de l’histoire du club, mais finalement, le résultat du jour importe peu. Le 30 mai 2015, l’AJA est battue contre le scénario sur une tête d’Edinson Cavani qui bat un Donovan Léon jusqu’ici parfait (0-1). Seul un cercle privé le sait alors, mais le club bourguignon a perdu le matin de la finale son actionnaire majoritaire, Emmanuel Limido, boss de la holding financière Paris Luxembourg Participations (PLP) et décédé d’une brutale crise cardiaque. La nouvelle sera rendue officielle le lendemain matin, Limido sera enterré le 8 juin et file alors avec tous ses secrets, de ses relations avec Bygmalion – dont le patron est à l’époque son ami Guy Alves, nommé administateur de l’AJA – à ses sociétés offshore révélées par le scandale des Panama Papers. Sans le savoir encore totalement, Auxerre vient surtout d’écrire les premières lignes d’un roman difficile à terminer.

Le pacte manqué

Il faut démêler les câbles pour capter ce qu’il se passe actuellement dans les coulisses d’un monument du football français : l’AJA, son histoire européenne, son titre de 96, son maillot PlayStation qui colle à la peau et ses monuments humains. Il faut surtout remonter l’histoire dans les papiers. Au départ, l’AJ Auxerre est un patronage, soit une initiative à dimension associative sous la protection d’un saint patron qui était donc l’abbé Deschamps jusqu’à la fondation de l’Association omnisports en 1905. Puis, il y a eu les années 2000 et la décision d’opter pour la forme juridique de la SAOS – société anonyme à objet sportif – avec un budget relativement modeste sous la direction du tout puissant président Hamel, en poste de 1963 à 2009. Un homme qui avait alors placé Alain Dujon pour prendre sa suite avant de le voir se faire retourner par le Collectif d’Appoigny, guidé par le duo Guy Roux-Gérard Bourgoin, lors d’une assemblée générale de l’association AJA. Le bordel est total et, au final, Bourgoin prend la tête du club en 2011. Soit un an avant que l’AJ Auxerre ne tombe en Ligue 2, deux ans après une qualification pour la phase de poules de la Ligue des champions avec une situation financière proche de l’agonie.

Le club est comme ça : il fonctionne dans la relation entre la SAOS et l’Association qui détient les biens immobiliers, une part de l’histoire du club, le stade de l’Abbé-Deschamps, la marque et le numéro d’affiliation du club. Un groupe qui possède aussi trois représentants au conseil d’administration de la SAOS qui gère, elle, le contrôle du club. Le problème est alors plus profond. « Les problèmes actuels étaient déjà prévisibles à l’époque, pose Robert Clairay, éphémère président de l’association en décembre 2013, fidèle des meubles de l’AJA, et qui a depuis été remplacé par Michel Parmentier, qui possède plusieurs McDonald’s à travers la France. Plusieurs fois, lors des assemblées générales, j’ai demandé s’il y avait un pacte d’actionnaires. C’est une règle de base en entreprise lorsqu’il y a deux associés : ici la SAOS et l’association. Cela n’a jamais été fait et voilà comment la patate chaude se balade de main en main depuis plusieurs années. » Voilà le moment où arrive Emmanuel Limido, qui a repris le club en avril 2013 à la place de Gérard Bourgoin pour le sauver de la faillite. Dans les textes et les faits, cela donne une SAOS propriétaire à 60% du club et l’association qui détient, elle, 40% de l’AJ Auxerre avec, comme membre le plus influent, Guy Roux.

Cotret, seul contre tous

Car la mort de Limido pousse sa femme, Corinne, cogérante de PLP – devenue LFC Invest – à reprendre la direction du club tout en conservant comme président le très mystérieux Guy Cotret. L’homme par qui tous les problèmes arrivent depuis son installation il y a plus de trois ans. « Il ne suffit que de regarder les faits. Je ne suis resté que 72 heures à la tête de l’association, et mon successeur Henri Maupoil a quitté le poste pour les mêmes raisons que moi. Guy Cotret est une personne qui supporte mal qu’on ne partage pas son avis. J’ai expliqué lors de ma prise de fonctions que la situation actuelle ne me convenait pas, les propos lui ont été rapportés, déformés probablement aussi, et j’ai tout de suite quitté le rôle de président après une discussion avec M. Cotret. Il faut comprendre qu’Auxerre est un club atypique, qu’on ne peut pas le gérer comme n’importe quel club, qu’on ne peut pas y faire n’importe quoi. On est dans le rural, on ne peut pas servir en permanence un discours de financier face à l’histoire. Il est aujourd’hui isolé dans sa situation » , complète Robert Clairay. Comme une bataille de rangées entre deux visions, deux mondes aussi, alors que Cotret parle de « manœuvres ignobles » .

Pourquoi ? Parce que voilà maintenant plusieurs mois que Corinne Limido cherche à vendre l’AJ Auxerre, trois ans après le sauvetage effectué par son mari contre 5 millions d’euros. Il y a eu l’épisode Irfan Hysenbelliu qui a bouchonné et voilà donc maintenant ORG Packaging. Limido a toujours parlé d’un passage « difficile » pour le club, mais voilà ce qui doit se décanter avant le 30 septembre prochain. Homme fort d’ORG, une boîte spécialisée dans l’emballage, James Zhou souhaite investir six millions d’euros sur trois ans et donc récupérer les 60% des parts détenues par la famille Limido depuis 2013, une transaction chiffrée à sept millions d’euros. L’homme se dit « habitué aux négociations » , mais ne s’attendait certainement pas à un tel bordel, car ORG prévoit dans l’acquisition une augmentation de capital qui ferait tomber la part de l’association (40% actuellement) à 24%, puis ensuite 10%. Une manœuvre possible uniquement dans la mesure où le modèle SAOS évolue en SASP, comme pour la quasi-totalité des clubs professionnels. ORG souhaite laisser une minorité de blocage à l’association, mais la tension est ailleurs.

« Ça m’en touche une sans faire bouger l’autre »

Elle est dans la forme, car les membres de l’association ont appris l’existence des discussions dans la presse. Si bien que mi-août, face à la réticence des membres de l’association de voir leur part de contrôle réduite, Corinne Limido a souhaité révoquer en conseil d’administration les trois membres de l’association AJA qui siègent au CA (Thierry Corniot, Christophe Rémy et donc Guy Roux). « Je n’ai pas cru une seconde qu’elle pouvait le faire, explique l’icône au bonnet. C’est une tentative illégale et elle a progressivement changé d’avis. C’était assez drôle comme situation, car le CA a décidé de voter notre révocation. On a voté contre et on nous a alors demandé :« Pourquoi vous votez contre ? » On ne va quand même pas être pour notre départ ! Madame Limido est une femme intelligente, séduisante et elle ne nous bougera pas. » Au point que l’histoire raconte que Guy Roux lui a répondu en CA : « Ça m’en touche une sans faire bouger l’autre. » Robert Clairay : « Faire taire Guy Roux est impossible. Si l’AJA en est là aujourd’hui, c’est largement grâce à lui. » Le message ne serait donc pas le meilleur pour le potentiel nouveau propriétaire, et la situation s’est aujourd’hui calmée alors qu’une assemblée générale décisive de l’association est prévue le 9 septembre. Cotret, de son côté, assure « qu’ORG soit là ou pas, le patrimoine immobilier appartient à vie à l’association » et personne n’a été révoqué. L’association doit donner son feu vert définitif le 30 septembre prochain et l’AJ Auxerre pourra se reconstruire avec de nouvelles ambitions, ses envies de Ligue 1 et la dalle d’un nouveau propriétaire chinois pour qui le foot est un véritable moteur, à l’image des récentes acquisitions en Italie, en Angleterre ou en Espagne. Peut-être, aussi, la fin d’une histoire bordélique et de la « patate chaude » .

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