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Astra Giurgiu : berline ne répond plus
Bourreau des Gones lors d'une torride soirée de préliminaires de Ligue Europa il y a presque sept ans, l'Astra Giurgiu a depuis conquis un titre de champion de Roumanie avant de tomber en décrépitude à vitesse grand V, comme d'autres petites formations avant elle. Pire, l'ancien point de chute d'Elliot Grandin vient d'être relégué en D2 roumaine et ne s'en sort plus financièrement, jusqu'à craindre pour sa survie.
« Après être resté six ans à l’Astra, je peux travailler même avec Ben Laden ! » Les propos de Dănuț « Dani » Coman, ancien gardien international et président de l’Astra Giurgiu depuis sa fin de carrière sur les bords du Danube en 2015, sont aussi tranchants qu’une serpe. Mais ils symbolisent un vrai boxon et sont loin d’être infondés : malgré un gros mois de février et deux mois et demi sans défaite, les Astralii ont succombé sans combattre mercredi dernier sur la pelouse du Viitorul de Gheorghe Hagi, alors qu’un nul suffisait aux ouailles de Ionuț Badea pour passer par la case barrage. Direction la D2 roumaine, à la surprise générale, un an après une « saison Covid » achevée sur le podium. Place au budget divisé par trois, aux déplacements en bus à l’autre bout du pays avec supplément crevaison et aux droits télé dominés par les équipes à supporters, capables d’assurer salaires et couverts. À moins que même tout ce panel ne se change en chimère, vu l’état du patient à la frontière bulgare.
Des fondations en argile
Unirea Urziceni, Oțelul Galați, FC Vaslui, Pandurii Târgu Jiu, ASA Târgu Mureș. Le point commun entre ces Icares roumains du XXIe siècle, qu’ils aient été titrés ou simplement salués par la critique ? Leur momentum aura eu la durée de vie d’un éclair en rase campagne. Et si c’est arrivé à une ville comme Galați, cela pouvait assurément arriver à la modeste Giurgiu, si elle n’assurait pas ses arrières. Bien qu’ancien port stratégique pour les puissances de la région de par sa proximité avec le Danube, Giurgiu fait partie de ces villes dont les Roumains se moquent volontiers au moment de l’apéro : cette Botoșani du sud n’est pas un grand lieu d’activité.
Les joueurs y évoluant les week-ends résident à Bucarest, qui n’est qu’à une heure de route. La vie et le renouvellement démographique sont à l’arrêt, les hôtels sont déserts et trop nombreux, à l’image des grillons. On y vient plutôt pour une journée de congé en stop-and-go, afin de barboter les pieds dans l’eau face à Ruse la bulgare, quand on ne privilégie pas Calafat ou Călărași. Lorsque le magnat de l’agroalimentaire Ioan Niculae a choisi d’y implanter l’ancienne Astra Ploiești en 2012, le déménagement ne répondait qu’à cette logique triviale : « Je viens d’un village voisin, ça se défend d’y avoir mon jouet, non ? » Avec une popularité déjà toute relative à Ploiești du fait de la présence du fougueux Petrolul en porte-étendard de l’ancienne capitale du pétrole roumain, on parle là d’un départ qui s’est produit loin du fracas habituel. Et ne pas bénéficier du soutien d’une armée de fidèles et de potentiels socios pose vite problème une fois qu’on touche aux joies des sommets sans avoir le bon logiciel.
Signé Ioan Niculae
Après 90 ans sans performance notable, l’Astra devenue Giurgiu va être prise de court par le retour en force de Marius Șumudică en avril 2015. Le volcanique « Șumi », timbré, offensif et proche de ses hommes, change la face de l’équipe et fait mieux que la bande de Daniel Isăilă, qui écœurait l’Olympique lyonnais en barrage de la Ligue Europa en 2014. Déjà portée par le maestro Constantin Budescu et un noyau dur (Denis Alibec, l’ancien Parisien Filipe Teixeira, la doublette Seto – Boldrin au milieu, Geraldo Alves ou Lung Jr dans les buts), les Giurgiuvenii s’illustrent à nouveau dans les tours préliminaires de C3, en sortant le West Ham de Dimitri Payet (2-2, 2-1) avant de buter de peu sur l’AZ Alkmaar. La consécration sera interne : premier champion de l’ère play-offs en Roumanie au terme de la saison 2015-2016, l’Astra fait la une au détriment du FCSB de Gigi Becali et rêve de coupe aux grandes oreilles.
Sauf que Ioan Niculae est en prison depuis un an et que les ressources financières, de fait, s’effritent déjà. Les odeurs pestilentielles, le patron d’InterAgro et de Galaxy Tobacco qui a longtemps talonné Ion Țiriac au classement des plus grandes fortunes du pays connaît : détournement de subventions européennes, fraude aux contrats gaziers, impôts non réglés et même financement illégal de la campagne présidentielle de Mircea Geoană, candidat du PSD en 2009 (les sociaux-démocrates, parti érigé sur les ruines de l’ancien Parti communiste roumain, ni vu ni connu). Avant le clou du spectacle en 2021 : de nouveau libre, mais sous le coup d’un mandat d’arrêt dans une énième affaire de corruption, de trafic d’influence, d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent, il réapparaît à… Milan, « où il se remettait de la Covid-19 », selon ses propres dires. Une défense bien légère avant de se rendre aux autorités roumaines, à laquelle s’ajoute une conception du monde du travail très particulière : payer « ses » footballeurs est une option. Et avec un contrat tendant vers le bénévolat, difficile d’exiger de ses « salariés » des performances sur le long terme.
L’astre Budescu et les étoiles filantes
Pourtant, on parle là de passionnés qui aiment leur métier. Prenez Constantin Budescu. Sans doute le plus grand joueur de l’histoire du club, célèbre pour sa technique insolente, son extérieur du droit, ses coups francs juninhesqueset sa panse de bon vivant – un peu moins pour son repli défensif. Pendant des années, qu’il revienne de Chine ou d’Arabie saoudite, ses friandises depuis le parking ou les vestiaires du stade Marin Anastasovici se sont toujours transformées en corners directs en match. Deuxième meilleur passeur durant la première partie de l’exercice 2020-2021, son nouveau départ pour subvenir à ses besoins de paye élémentaire au temple des cheikhs et du pétrole sera le coup de grâce.
Sans créateur, les Astralii voient leur attaque s’éteindre, pour mieux replonger dans leurs surprenants travers du début de saison (deux victoires en quatre mois). Après moult années d’abonnement au top 5 et malgré un sursaut d’orgueil après les sarmale de Noël, la participation aux play-outs pour une équipe qui n’a ni l’enthousiasme ni le cheat code pour affronter les matchs couperets du bas de tableau suit les croquis d’un calvaire. Comme si les suspensions pour dopage de trois éléments importants (dont Kehinde Fatai, déjà buteur face à Lyon en 2014) avaient écrit le scénario depuis longtemps, les Giurgiuvenii s’endorment, enchaînent six revers en sept rencontres et coulent pour de bon en Liga 2. En coulisses, alors que l’Astra doit disputer la finale de la Coupe de Roumanie ce samedi contre le CS U Craiova et peut encore techniquement se qualifier pour la nouvelle C4, c’est déjà la débandade : le président Dănuț Coman et les derniers cadres, Valerică Găman en tête, prendront la poudre d’escampette à l’issue de la rencontre. Quant aux 16 millions d’euros de dettes accumulées depuis des années, elles sont inépongeables avec Niculae au trou. Même le CM du club sur Facebook se voit en septième division, puisqu’il sait que l’huile du pénitentier de Jilava n’a de toute façon aucune volonté de régler la palanquée d’impayés. Loin, très loin de ses parcours européens à Londres, Rome, Salzbourg, Glasgow ou Genk jusqu’en 2017, l’Astra Giurgiu risque désormais la banqueroute. Et sans Victoria Silvstedt pour lui tenir compagnie.
Par Alexandre Lazar
Propos de DC tirés d'une zone mixte sur Digi Sport.