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AS Roma 1942 : un Scudetto dans l’ombre de Mussolini

Par Eric Maggiori
AS Roma 1942 : un Scudetto dans l’ombre de Mussolini

Lors de la saison 1941-42, juste avant l’interruption du championnat national à cause de la guerre, l’AS Roma remporte son premier Scudetto. Or, bien des années plus tard, une rumeur émerge : ce Scudetto aurait été « offert » par Benito Mussolini.

Le début des années 40 n’est pas franchement une époque dont on se souvient avec plaisir. La Seconde Guerre mondiale bat son plein et, forcément, le football va rapidement passer au second plan. En Italie, le championnat national est interrompu au terme de la saison 1942-43. Les deux saisons suivantes, des championnats régionaux sont disputés, dans la mesure du possible et du réalisable. Pourtant, le début des années 40 marque une date importante dans l’histoire du football italien. En 1942, l’AS Roma, club romain né 15 ans auparavant de la fusion de nombreux clubs de la ville, remporte son premier Scudetto. C’est un fait marquant dans l’histoire de la Serie A. En effet, depuis la création du championnat unique, en 1929, aucun club « du Sud » n’avait jamais remporté le titre national. Ce titre n’avait été remporté que par des équipes du Nord, en l’occurrence l’Ambrosiana (ancienne Inter), la Juventus et Bologne. Et même auparavant, avant l’instauration de la Serie A, seules des équipes du Nord (Genoa, Milan, Pro Vercelli, Casale, Novese et Torino) étaient parvenues à s’imposer. Le Scudetto de la Roma est donc un vrai virage. D’autant qu’à l’époque, l’équipe romaine n’avait rien d’une armada. La preuve : la saison précédente, elle avait terminé 11e de Serie A. Quelques années plus tard, des soupçons jaillissent : et si ce Scudetto n’avait été qu’un cadeau du Duce du fascisme, Benito Mussolini ?

Souvenir de l’Empire romain

Retour en arrière. L’Italie est à l’époque en guerre, comme le reste de l’Europe. À sa tête, Benito Mussolini, qui a pris le pouvoir en 1922, juste après la Première Guerre mondiale. Un homme qui, en 1921, juste avant d’accéder au poste de président du Conseil des ministres du Royaume d’Italie, avait fondé le Parti national fasciste. Le football de l’époque est, pour sa part, complètement dominé par les équipes des grandes villes du Nord : Turin, Gênes, Bologne et Milan. C’est là que l’on entre dans les suppositions. La thèse de l’écrivain Mario Soldati et de l’immense journaliste Gianni Brera est la suivante : Mussolini a eu, à ce moment-là, l’envie de reproduire le mythe de l’Empire romain. Une période – les cinq premiers siècles après Jésus Christ – où Rome était la plus grosse puissance du monde. Pour remettre au goût du jour cette Rome impériale, Mussolini aurait décidé d’appliquer le mythe au football et, ainsi, de donner un coup de pouce à la Roma pour qu’elle remporte le Scudetto. Cette thèse, qui peut sembler grotesque et foireuse, a pourtant reçu un soutien de poids au début des années 70.

Saison 1970-71 : Helenio Herrera, l’homme qui a tout gagné avec l’Inter entre 1962 et 1966, est viré au terme de la 24e journée de son poste d’entraîneur de la Roma par le président de l’époque, Alvaro Marchini. Furax, l’Argentin naturalisé français se lâche : « Les gens de la Roma me critiquent et se plaignent de moi. Mais il est impossible de gagner ici. Ils n’ont gagné qu’un seul Scudetto, et pour ce titre, ils doivent seulement remercier Mussolini. » Plouf. Un gros pavé dans le Tibre, qui contribue à faire enfler la rumeur. Mais qu’y a-t-il de vrai dans ces affirmations ? Difficile de le dire. Déjà, une première question se pose : pourquoi Mussolini aurait-il attendu 1942 pour réaliser une opération de ce genre, étant donné qu’il aurait pu le faire tranquillement quelques années auparavant, à une période où l’Italie ne se dirigeait pas tout droit vers la fin du régime ? Réponse du grand Mario Soldati, dans une interview datant des années 80 : « Mussolini savait que la guerre allait mener l’Italie à sa perte. D’où son idée de raviver dans les mémoires l’image d’une Italie puissante, comme elle l’était à l’époque de l’Empire romain, pour créer une sorte d’union sacrée autour de lui. » Comme ça, cela paraît plus clair.

Sympathies pour la Lazio

Évidemment, aucune preuve concrète n’existe. À l’inverse, les arguments tendant à prouver que cette rumeur est complètement infondée se sont multipliés au cours des années, notamment dans le camp giallorosso. Le buteur et leader de la Roma 1942, Amadeo Amadei, s’est toujours insurgé face à de tels soupçons. « Le Scudetto, nous l’avons gagné sur le terrain, avec un groupe fantastique » , affirme-t-il. La marche triomphale de cette Roma a commencé le 26 octobre 1941, avec un succès 5-1 face au Napoli. Le 11 janvier, la Roma s’impose lors du derby romain (2-1) et est finalement sacrée championne d’Italie le 14 juin 1942, grâce à un succès 2-0 face à Modena, au stade nationale du Parti fasciste, plus tard devenu le Stadio Flaminio. Un Scudetto remporté au nez et à la barbe du Grande Torino qui, après cela, allait remporter cinq Scudetti consécutifs. Au stade, la foule est en délire et célèbre dans les bras des joueurs. L’espace d’un instant, les souffrances de la guerre disparaissent et la peur se transforme en joie.

Amadei, encore : « Pour nous, c’était incroyable. Comment peut-on croire que ce Scudetto a été commandité par quelqu’un ? » Les tifosi giallorossi se souviennent d’ailleurs que, lors du match décisif face au Toro, à six journées de la fin, un but valable avait été annulé à la Roma, tandis que le but égalisateur du Torino avait été validé alors que personne n’avait vraiment vu le ballon entrer. On est bien loin du soi-disant coup de pouce de Mussolini. En réalité, la seule chose pour laquelle les joueurs de la Roma ont reçu une aide, c’est à propos du service militaire. Le club giallorosso a eu la possibilité de retenir à Rome les joueurs qui devaient faire leur service militaire, leur permettant ainsi de s’entraîner avec le reste de l’équipe, et leur évitant de longs et fatigants trajets, le dimanche, pour rejoindre leurs coéquipiers.

Vraiment rien d’autre, donc ? « En 1942, Mussolini avait des problèmes bien plus importants à traiter que le football. Et de plus, ses sympathies n’ont jamais été giallorosse, mais bien laziale » , précise encore Amadei. En effet, en 1929, Benito Mussolini avait fait une demande d’adhésion pour devenir membre de la Lazio, le club rival, offrant la somme symbolique de 1000 lires. Mussolini a ensuite activement participé, lors de l’été 1934, au recrutement du buteur Silvio Piola, en faisant fermement comprendre aux autres clubs du Nord que Piola devait signer à la Lazio, et nulle part d’autre. Mais alors, s’il était sympathisant de la Lazio, pourquoi Mussolini aurait-il fait gagner la Roma, et non la Lazio ? Peut-être à cause de l’Histoire avec un grand H : il faut effectivement se souvenir que la naissance de l’AS Roma est venue d’une volonté du Parti fasciste d’avoir une seule grande équipe à Rome. Le Duce avait insisté pour que toutes les équipes romaines fusionnent (Alba, Fortitudo, Roman, Lazio), mais la Lazio a refusé, laissant les trois autres équipes devenir l’AS Roma. 15 ans plus tard, donc, le club giallorosso remporte son premier Scudetto. Et peu importe les soupçons : ce titre-là restera, pour les tifosi, comme un rayon de soleil en plein milieu de la guerre.

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