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Arshavin, tsar d’un soir

Par Maxime Brigand
Arshavin, tsar d’un soir

Il n'était là que depuis quelques mois. Le 21 avril 2009, alors que Liverpool joue sa survie dans la course au titre, Andrey Arshavin va frapper quatre fois. Un exploit historique. Celui d'un homme que l'on ne reverra que par bribes avant qu'il ne rentre en Russie. Loin des yeux, près du cœur.

C’est là que l’histoire est entassée. Juste derrière la chaleur de l’une des plus belles voix d’Europe. On y trouve cent vingt reliques. Il y a un peu de tout : une dizaine de trophées européens, dix-huit fêtes de champion d’Angleterre et quelques traces régionales. C’est l’âme du Liverpool FC. Le Kop et ses sièges d’une couleur rouge vif. Aujourd’hui, l’endroit est davantage le marqueur d’un passé glorieux qu’un lieu où l’on célèbre des titres. Liverpool rêve pourtant encore de la couronne. Plusieurs fois, il est passé tout près. Sur le parvis d’Anfield, Bill Shankly, statufié après avoir porté les Reds au génie, résumait sa philosophie par ces mots : « Quand vous êtes premier, vous êtes premier. Quand vous êtes deuxième, vous n’êtes rien. » De ces moments passés tout près de la liesse jaillissent alors des images : la glissade d’un prodige aux portes de la gloire, des défaites au cœur d’un sprint ou l’apparition d’un adversaire héros. Au printemps 2009, Liverpool n’aura failli qu’une fois entre le 2 mars et le 24 mai. Un temps où les Reds étaient certainement les plus forts avec un duo Gerrard-Torres capable de faire tomber des murs. Cette faille coûtera une nouvelle fois la gloire. C’était le 21 avril 2009, et ce jour-là, Anfield s’est courbé devant le talent d’un homme venu de loin. Un gars au maillot jaune, russe et génie intermittent, qui ne s’est jamais « trouvé assez bon pour viser plus haut » . Un joueur de foot qui, ce soir-là, va frapper quatre fois.

Les yeux de l’Europe

Lorsqu’ils sortent du tunnel de Main Stand, personne n’imagine ce qu’il peut se passer. C’est typiquement le match où tout peut arriver. Liverpool a l’occasion de prendre provisoirement la tête du championnat, Manchester United ne jouant que le lendemain face à Portsmouth. Pour cela, il lui faut battre Arsenal, une équipe qui n’a plus rien à jouer après avoir assuré sa quatrième place. Ce soir-là, les Gunners ont déjà des liens affirmés avec l’infirmerie du club. Van Persie, Gallas, Almunia sont touchés et Gaël Clichy renonce à l’échauffement. Sur le papier, le onze de Wenger fait la gueule : Fabiański est dans les buts et la défense Touré-Silvestre ne rassure pas. Le reste ? Les mèches blondes de Nasri, la légèreté de Fàbregas et Andrey Arshavin, à gauche. Le Russe est arrivé quelques semaines plus tôt, découvre doucement l’Angleterre après un Euro austro-suisse électrique et a déjà régalé en soliste face à Blackburn un mois plus tôt. Arshavin a signé en janvier pour une quinzaine de millions de livres et est celui que toute l’Europe désire depuis qu’il a fait tomber les Pays-Bas l’été précédent. « La première fois que j’ai vu Wenger, j’ai été un peu effrayé, comme si c’était quelqu’un d’une autre planète. Je n’aurais jamais pensé, même dans mes rêves les plus fous, parler un jour avec lui. Je n’ai jamais pensé que j’avais le niveau pour jouer ici. Ce match à Liverpool reste le plus beau de ma vie, mais je ne veux pas être l’homme d’un match. Car tout le monde peut avoir un bon jour » , racontait alors celui qui est considéré à l’époque comme l’une des personnalités les plus influentes de Russie.

Le doigt sur la bouche

Car ce 21 avril 2009, Andrey Arshavin est entré dans l’histoire. D’une frappe sous la barre en première période, à la retombée d’une mauvaise tête de Carragher, avec un missile tendu dans le petit filet gauche de Reina et à la conclusion d’un contre d’école emmené par le vélo Theo Walcott. Le n°23 d’Arsenal a frappé quatre fois. Anfield n’avait plus vu ça depuis 1946, Arsenal n’avait plus connu ça depuis Julio Baptista. Le tout au cœur d’une rencontre folle, portée par la domination d’un Liverpool qui n’a cessé de courir après le score et de buter sur un Fabiański excité. Ce Liverpool-Arsenal (4-4) était un sommet de foot anglais. Celui qu’on aime, qui joue, avec des génies comme Torres, Benayoun et surtout Arshavin. Howard Webb, arbitre ce soir-là à Anfield, parle « du meilleur match de sa carrière, d’un soir où j’aurais pu m’asseoir sur le côté, regarder le match tant les fautes étaient absentes. » Arshavin était alors à son plus beau, il réussissait tout dans une rencontre rendue extraordinaire par les nombreuses erreurs défensives. C’est simple : tous les buts étaient consécutifs à une mauvaise relance, un mauvais tacle, une mauvaise passe. Mais lui était là sans réellement comprendre ce qui lui arrivait. Son visage au moment du quatrième but, le doigt sur la bouche, en racontait beaucoup. Ce soir-là, il a fait taire Anfield, mais aussi prolonger de quelques mois la parenthèse dorée de sa carrière.

Liverpool a perdu une partie de la couronne 2009 sur ce 4-4. Car le lendemain, Manchester United va battre Portsmouth (2-0) et filer vers son titre de champion. Arsenal sera éliminé, lui, en demi-finale de Ligue des champions par le même United. Arshavin restera à Londres jusqu’en 2013, claquera une nouvelle merveille à Anfield en octobre 2009, alternera la lumière, comme face à Barcelone, et le manque de saveur. Il en profitera ensuite pour tacler Wenger, la gestion du Français et son manque de remise en question : « Il se contente d’afficher un sourire sans changer un iota sa façon de voir. » Le Russe retournera jouer au Zénith, sera écarté de la sélection à l’arrivée de Fabio Capello en 2012 et traîne aujourd’hui son talent sans lendemain au Kuban Krasnodar. Là aussi, il ne reste que des images. Lui préfère garder des mots, ceux d’Arsène Wenger qui, au moment de le voir partir, lui demanda de « continuer à jouer au football » . Liverpool, de son côté, court toujours derrière un titre. Et ce, depuis 1990.

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