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Antoine Boutonnet : « Le principe de précaution guide nos actions »

Propos recueillis par Anthony Cerveaux
Antoine Boutonnet : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Le principe de précaution guide nos actions<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Le commissaire Antoine Boutonnet dirige la division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH) au ministère de l'Intérieur. Dans le cadre du séminaire de la DNLH à Reims la semaine dernière, il a répondu à nos questions sur l'utilisation des fumigènes, les interdictions de stade ou le blocage de bus de supporters parisiens à Toulouse.

Vous recensez 398 interdictions de stade depuis le début de la saison. Pour quels motifs sont-elles délivrées ? En général, c’est surtout pour des actes de violence. Les interdictions de stade interviennent à partir du moment où il y a soit un fait considéré comme grave, soit un fait réitérant, souvent d’une moins grande gravité, mais qui montre un comportement assez régulièrement déviant d’une personne à l’occasion des rencontres de football.

Dans quels cas interviennent les interdictions judiciaires de stade (IJS) et les interdictions administratives de stade (IAS) ?L’interdiction judiciaire de stade, c’est une peine complémentaire à une infraction ayant une qualification judiciaire dans une enceinte sportive. C’est donc la possibilité pour le juge, en complément d’une sanction principale (prison avec sursis, amende…), d’interdire de stade un individu. Les infractions sont bien énumérées par la loi et la durée de l’IJS oscille de quelques mois à cinq ans. Les interdictions administratives de stade concernent un fait suffisamment grave ou une réitération de faits un peu moins graves. L’IAS intervient également pour faire la jointure entre le moment où une personne a commis une infraction et le moment où a lieu son audience. On ne comprendrait pas qu’une personne qui a commis une infraction ou qui a un comportement carrément déviant à l’occasion d’une rencontre sportive, et dont l’audience a lieu quelques mois après pour différentes raisons, puisse continuer à fréquenter les enceintes sportives. En ce sens, cette mesure administrative constitue un principe de précaution. À partir du moment où une personne commet un fait suffisamment grave ou s’il y a une réitération de faits, par principe de précaution, on l’écarte du stade : c’est la raison pour laquelle c’est une mesure administrative.

Pourtant, il n’y a pas forcément d’IJS à la suite d’une IAS « préventive » .En général, c’est le cas.

Beaucoup d’exemples montrent, au contraire, que les IAS servent souvent de peine principale, d’autant qu’elles ont été étendues par la loi Loppsi 2.Vous avez des infractions judiciaires qui n’ont pas de peine complémentaire. Et quand je parle de faits suffisamment graves qui motivent des IAS, cela peut également être une infraction commise, mais pour laquelle il n’y a pas forcément de peine complémentaire prévue à la session judiciaire. Or il y a tout de même un comportement qui fait que la personne peut être dangereuse pour elle-même ou pour autrui.

J’en reviens aux motifs de ces interdictions de stade. Quels sont les différents types de faits concernés et leur proportion ?Cela peut être différentes choses. En général, c’est souvent des faits de violence ou de dégradation. Mais c’est un peu tout.

Avez-vous des chiffres concernant la proportion des différents faits conduisant à une interdiction de stade ?Comme je viens de vous le dire, les comportements faisant l’objet d’une mesure administrative d’interdiction de stade sont pour leur grande majorité des faits de violence et de dégradation. D’autres faits d’une gravité moindre, mais réitérés, peuvent également concerner cette mesure préventive. Leur diversité ne me permet pas de vous dresser une liste suffisamment exhaustive. (NDLR : Nous n’avons pas pu obtenir de données précises. Donc soit la DNLH n’a pas de chiffres sur les différents motifs d’interdiction de stade, soit elle ne souhaite pas communiquer à ce sujet, ce qui est, dans les deux cas, regrettable.)

Dans une conférence de presse, vous parliez de l’importance des fumigènes et des infractions à la législation sur les stupéfiants dans les motifs d’interdiction de stade. Qu’en est-il ?Non, ce n’est pas forcément le cas pour les stupéfiants. En général, ces infractions ne débouchent pas sur une interdiction de stade. C’est davantage ciblé sur des comportements qui peuvent avoir une certaine gravité ou qui sont récurrents. Par exemple, dans l’usage d’engins pyrotechniques, il peut y avoir une certaine gravité. Le législateur a souhaité punir leur utilisation par une peine maximum de 3 ans de prison. Dans l’échelle des sanctions pénales, c’est quand même assez important et pour une raison très simple : c’est extrêmement dangereux, n’en déplaise à certains. C’est souvent quand le mal est fait qu’on s’en rend compte.

« Des supporters se sont fait amputer des doigts suite à l’usage d’un engin pyrotechnique »

Pourtant des fumigènes sont allumés lors d’autres évènements sportifs, comme l’arrivée du Vendée Globe récemment…Sur l’arrivée du Vendée Globe où tout le monde craque des fumigènes, vous êtes sur mer d’abord, et ensuite vous n’êtes pas dans un espace confiné. Cela n’a absolument rien à voir avec un match dans un stade. Si vous avez un mouvement de foule ou un début d’incident dans une tribune, les conséquences peuvent être d’une extrême gravité, ce qui s’avère différent de l’arrivée du Vendée Globe.

Les supporters évoquent aussi des manifestations publiques où les fumigènes sont autorisés.Il ne vous a pas échappé que, lorsque des fumigènes sont allumés sur la voie publique par les supporters, on intervient rarement, sauf dispositions particulières. C’est vraiment l’espace confiné que représentent les tribunes, qui pose problème pour nous. Après, certains supporters peuvent penser ce qu’ils veulent. Mais quand il y a une infraction, notre métier premier, notre rôle, c’est d’interpeller le fauteur de trouble pour le déférer à la justice. À partir du moment où il y a une certaine dangerosité dans l’utilisation d’un produit, il est clair que c’est un devoir pour nous d’agir. S’il n’y a pas de danger particulier et que cela se passe à l’extérieur d’une enceinte sportive, dans ce cas, il n’est pas forcément nécessaire d’intervenir. Même si c’est également dangereux en extérieur : par exemple, des supporters se sont fait amputer des doigts suite à l’usage d’un engin pyrotechnique lors d’une manifestation en extérieur, ce n’est pas pour autant que l’on a interpellé quelqu’un, car il n’y avait pas de constitution d’infraction.

Un supporter montpelliérain s’est pourtant fait interpeller en septembre parce qu’il était en possession d’un fumigène, alors qu’il était en dehors du stade. Cela n’avait absolument rien à voir avec l’engin pyrotechnique, mais je ne préfère pas m’exprimer sur ce sujet dans la mesure où une enquête est actuellement en cours.

Une manifestation nationale des ultras a eu lieu à Montpellier suite à cet incident. À cette occasion, les représentants des groupes de supporters avaient déposé une motion à la préfecture de l’Hérault. Les pouvoirs publics comptent-ils y apporter une réponse ? Je ne suis pas en mesure à l’heure actuelle de vous répondre. Mais je reviendrai vers vous ultérieurement.

Lors de votre conférence de presse de fin de saison dernière, vous aviez pointé du doigt 5 villes (Nice, Bordeaux, Montpellier, Saint-Étienne, Lyon, ndlr), dont les supporters posaient selon vous problème. Est-ce toujours le cas ?
J’avais effectivement ciblé un certain nombre de groupes qui, potentiellement, posaient problème. De toute façon, il est clair qu’on a une attention particulière sur l’intégralité de ce qui se passe dans le championnat professionnel, mais également dans le championnat amateur. Car il y a aussi, parmi des clubs qui peuvent prétendre intégrer le milieu professionnel l’année prochaine, quelques ciblages sur des comportements déviants provenant de certains groupes de supporters. Maintenant, à mi-saison, on a des résultats qui sont quand même assez positifs et on va largement à la baisse dans la « délinquance périsportive » . Mais c’est aussi parce qu’on a une action proactive. Tout reste néanmoins fragile, il ne faut pas baisser la garde et on reste extrêmement attentifs sur l’évolution du comportement des supporters.

« À Toulouse, un des deux cars a refusé d’obtempérer et a pris la fuite »

En ce qui concerne les supporters parisiens bloqués à Toulouse, vos propos sur France Bleu, selon lesquels il y aurait eu des anciens membres des « Boulogne Boys » dans les bus interceptés par la police, ont suscité des remous dans le microcosme des ultras parisiens… France Bleu n’a pas très bien retranscrit mes propos. Pour moi, il n’y avait pas d’ex-membres des « Boulogne Boys » dans les bus. J’ai dit qu’il y avait effectivement des groupes antagonistes de Boulogne et d’Auteuil dans l’enceinte du Stadium de Toulouse, mais pas au sein des bus bloqués par les forces de l’ordre. D’ailleurs sur la bande-son de France Bleu, on ne m’entend pas dire que des « Boulogne Boys » étaient dans les cars.

Les supporters parisiens présents dans ces bus ont parlé d’arbitraire concernant le blocage de plusieurs heures de leurs cars. Pourquoi les avoir arrêtés et gardés aussi longtemps ?Il n’y a pas d’aspect arbitraire. À partir du moment où il peut y avoir un risque de trouble à l’ordre public, on fait en sorte que les rencontres, qu’elles concernent le PSG ou d’autres clubs, se passent pour le mieux. En l’occurrence, c’était une action en amont, de gestion de flux de supporters afin d’éviter qu’il puisse y avoir des problèmes une fois au stade.

Les supporters parisiens critiquent le traitement dont ils ont fait l’objet pendant ces heures de blocage.Il est clair que leur comportement avec les forces de police a posé problème. À leur arrivée au péage et dans le cadre de la gestion des flux de supporters, les forces de l’ordre présentes sur place devaient les prendre en charge pour les acheminer au Stadium. Cependant, les occupants ont eu un comportement extrêmement hostile et agressif. Pour preuve, le commissaire de police qui était sur place a dû effectuer deux sommations ce qui a permis de rétablir un calme éphémère. Toutefois, un des deux cars a refusé d’obtempérer et a pris la fuite. Il a dû être intercepté quelques kilomètres plus loin alors qu’il s’était arrêté sur la bande d’arrêt d’urgence. Les occupants sont sortis sur l’autoroute et ont subtilisé un bon moment les clefs du car au chauffeur, empêchant ainsi toute manœuvre. Ceci étant d’autant plus dangereux que la plupart d’entre eux était fortement alcoolisés et en possession de nombreux engins de pyrotechnie. Des fumigènes ont même été lancés en direction des forces de l’ordre. Deux occupants ont de plus été identifiés comme des personnes interdites de stade. Dans ces circonstances, la décision de ne pas les faire entrer dans le stade a été prise conjointement avec le Téfécé pour éviter que des faits graves ne se produisent dans l’enceinte sportive. Personne n’aurait compris, par rapport au comportement qu’ils avaient eu à l’extérieur, qu’on puisse les laisser entrer au stade, surtout s’il y avait eu des problèmes par la suite.

(NDLR : Les supporters parisiens présents dans les bus ont une autre version des faits, détaillée par Saïd sur notre site ou par Kevin sur Rue 89 . D’après les informations complémentaires que nous avons pu obtenir de la part de plusieurs personnes présentes sur les lieux, quelques interdits de stade faisaient partie du déplacement. S’il y avait bien de l’alcool dans les bus, il n’y aurait pas eu de consommation excessive et aucun test d’alcoolémie n’aurait été effectué. Les premiers échanges avec les forces de l’ordre auraient été plutôt calmes. Selon les supporters, l’un des bus n’aurait pas tenté de fuir, mais de se diriger vers le stade. Enfin, les fumigènes et pétards lancés à l’extérieur d’un bus l’auraient été au moment où les cars repartaient vers Paris et marqueraient l’exaspération de certains fans après leur journée de blocage. Plusieurs supporters ont évoqué leur volonté de porter plainte. Une enquête permettrait d’en savoir plus sur ces évènements.)

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