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« Quand quelqu’un découvre la Beaujoire, ça coupe le souffle »

Propos recueillis par Jérémie Baron et Mohamed Bensafi

Le 8 mai 1984, le stade de la Beaujoire était inauguré par un obscur Nantes-Roumanie. En 40 ans, l’enceinte a accueilli l’Euro et la Coupe du monde, a vu à l’œuvre le FCN de Coco Suaudeau et celui de Reynald Denoueix, a connu deux descentes en Ligue 2 et autant de remontées dans l’élite, a vécu une demi-finale de C1, a observé Maxime Bossis, Frédéric Da Rocha, Mickaël Landreau et Randal Kolo Muani, est passée de 51 000 à 34 000 places, a subi moult envahissements de terrain, a hébergé les concerts de Johnny ou Dire Straits, est devenue l’une des ambiances les plus respectées de l’Hexagone, et a même survécu à un projet de destruction. Quarante ans plus tard, quinze amoureux – ou pas, d’ailleurs – de ce stade racontent « leur » Beaujoire.

«<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Quand quelqu’un découvre la Beaujoire, ça coupe le souffle<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Pfel, 44 ans, membre du groupe nantais C2C

« Je suis né en 1980, donc ça a basculé juste à ce moment-là. On était dans les belles années. On avait assisté au but magique face au PSG, ce but d’anthologie en trois touches de balle, reprise de volée de malade. On y allait régulièrement avec mon père. Par la suite, j’ai un petit peu décroché, mais il y a cette dimension familiale un peu nostalgique. Ce stade, je l’ai vu dans ses premières années, donc on l’a vu vieillir. J’ai l’impression qu’il fait vraiment partie de notre patrimoine local. Il y a eu la Coupe du monde aussi, on avait fait un match, c’était cool. Plus jeune, quand je faisais de l’intérim pour me faire un peu de sous avant d’en gagner avec la musique, j’ai eu quelques missions durant lesquelles je nettoyais le stade après les matchs, donc je connais le stade dans ses moindres travées. »


François Bégaudeau, 53 ans, écrivain

« En 1984, on n’était pas du tout content de quitter notre bon vieux Marcel-Saupin. Quand on a vu arriver la Beaujoire, il y a eu un réflexe un peu conservateur. “C’est quoi ce grand stade ? Est-ce qu’on va réussir à le remplir ?” Au tout début, il y avait eu cette polémique sur les courants d’air. Derrière les buts, on avait comme une grande ouverture dans le dos. Les années où la Beaujoire entre en fonctionnement correspondent à un vide dans l’histoire du FC Nantes. Il y a eu pas mal d’années qu’on n’a pas beaucoup aimées à Nantes. Pour les grandes ambiances, il faut attendre le début des années 1990 avec des joueurs comme Pedros, Loko ou encore Karembeu. En 1995, d’un seul coup, le stade va se remplir davantage parce que l’équipe va être beaucoup plus attractive. Depuis les 20 dernières années, je n’ai pas retrouvé une ambiance similaire à celle de ces années-là. En revanche, pour y être retourné récemment, j’ai trouvé que le kop s’était extraordinairement professionnalisé. »


Jean-Marc Ayrault, 74 ans, ex-maire de Nantes (1989-2012)

« J’étais maire de Saint-Herblain à l’époque, et la décision d’Alain Chénard (maire de Nantes entre 1977 et 1983) de faire un nouveau stade a été fortement critiquée. Mais ce fut un excellent choix, et aujourd’hui tout le monde parle de la Beaujoire, c’est devenu une référence. L’architecture a été réussie, alors qu’à l’époque, elle avait surpris. On a fait je ne sais combien de travaux d’adaptation, et il faudra continuer à en faire, mais ça reste quand même une belle réussite, un bel instrument. Même si, à un moment, Kita a voulu faire son stade tout neuf, la Beaujoire reste encore performante. Quand j’étais maire, j’allais régulièrement aux matchs. Aujourd’hui, j’ai un peu levé le pied. Mais je suis toujours adhérent de l’association Allez Nantes Canaris. En 1995, on a vécu des moments d’euphorie à la Beaujoire. Il y avait une sorte de vent de folie. J’ai eu une chance inouïe de vivre ces moments à la Beaujoire, à Nantes, quand j’étais maire. »


Alexis Vergereau, 26 ans, journaliste pour Ouest-France et auteur du livre Il était une fois la Beaujoire (sorti le 5 avril 2024)

« Je la découvre en 2004, j’ai 7 ans. Les seuls souvenirs, c’est la montée des marches, la première écharpe offerte par mon oncle et mon père qui m’accompagnent ce jour-là. Vingt ans après, je suis toujours fasciné quand j’arrive à la Beaujoire. Quand je rentre dans le stade, c’est bon, je suis à la maison. Quand tu arrives en tribune Loire, tu n’attends qu’une chose, c’est de voir s’il y a les petits cordons des tifos. Quand il y a un cordon, tu te dis super, il va y avoir un tifo, ça va être un beau match. L’hymne à la Beaujoire, c’est hyperimportant pour moi, ça fait partie de cette grande cérémonie du match. J’arrive toujours au moins deux heures avant, pour prendre mon américain-frites chez Pépère. Parce que ce sont des Vendéens, parce que ce sont les meilleures frites d’Europe. »

 

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Éric, 52 ans, supporter du FC Nantes (et fan de Mark Knopfler devant l’éternel)

« Pour le footeux expat’ que je suis, ce stade représente la ville de Nantes, tout simplement. Plus encore que la tour Bretagne, le Sillon de Bretagne, le château des ducs, le passage Pommeraye ou les triples ronds-points. Il est une courbe identifiable par tous, comme la Loire traversant la ville. Quand je fais l’aller-retour juste pour un match, je pose la voiture près du McDo de Carrefour, je prends un américain-saucisse chez Marie, puis je rentre. Après le match, nouvel américain chez Marie, mais sans la bière cette fois : j’ai de la route. Mes meilleurs moments ? Un apéro avec quelques membres du forum du club, après des années d’échanges purement virtuels, dont “le Ch’ti”, qui nous a quittés peu de temps après. Un match en tribune Loire avec Christophe (fcn1943) et sa fille, quelques mois avant que lui aussi… Nantes-Saint-Étienne, pour Emi, et depuis, chaque putain de 9e minute vécue au stade. C’est gai, hein ? Mais c’est ça, la vie d’un stade, c’est des histoires d’hommes et de femmes, des histoires de partage autour d’un rectangle vert. »

« Dire Straits à la Beaujoire, c’est un peu mon passage de l’adolescence à l’âge adulte. J’ai 20 ans, je suis étudiant, je vais enfin entendre le vrai son de la vraie guitare de mon vrai guitar hero. De mémoire, la scène est posée sur la pelouse côté Loire. Je me pose à environ 50 mètres, côté Océane. Bien sûr, rassembler sur un seul rendez-vous “mon” groupe et “mon” stade était excitant, mais en fait, je n’ai pas eu le sentiment que l’instant fusionnait mes deux passions. J’ai vu Mark Knopfler. Ok, c’était à la Beaujoire, mais j’ai vu Mark Knopfler. »


David de Freitas, 44 ans, ex-joueur du FC Nantes (2007-2010)

« J’ai connu le FC Nantes avant d’y jouer, je regardais les matchs, et c’est vrai que la Beaujoire, ça restait parmi les stades mythiques. Quand je suis arrivé, je me suis régalé que ce soit les vestiaires, le couloir du stade, même si aujourd’hui tout ça a encore bien évolué. Ce sont ces petites choses qui font que le stade fait partie des plus beaux en France. Quand on est joueur de foot, il y a ce côté stade vraiment fermé, grosse ambiance. Je n’y ai pas marqué énormément de buts (4 de ses 7 buts ont été inscrits à domicile, NDLR), mais j’en ai un ou deux en mémoire. Notamment en 2008, je fais mon 300e match en professionnel, contre Montpellier. Il nous faut un point pour monter, je marque et on fait match nul. »

« Il y a aussi de moins bons souvenirs, comme notre dernier match de Ligue 1, où on redescend. C’était contre Auxerre, vraiment un match compliqué à jouer, dans une tension avec les supporters et le club. On a connu de grosses ambiances, comme les derbys contre Rennes, les matchs contre Paris, Marseille. Encore aujourd’hui, je prends toujours plaisir à regarder les matchs du FC Nantes, surtout à la Beaujoire, parce que c’est toujours une ambiance exceptionnelle. J’ai eu l’occasion, après mon départ, de faire un match en Brigade Loire. J’étais à Châteauroux à l’époque. J’avais toujours dit que ça me plairait et je l’ai fait. J’ai vraiment pris plaisir à aller dans ce kop, ça a été un très, très bon souvenir. Ils se donnent à fond pour le club, que ce soit dans les tifos ou les encouragements, tout au long du match et de la saison. J’avais envie de le vivre. »


Berdje Agopyan, 86 ans, architecte de la Beaujoire

« Le projet consistait à construire un stade destiné à la fois au football et au rugby. Nous avions 16 mois. Dès le début, j’ai pensé à son insertion dans l’environnement. Nous avons œuvré pour que les riverains habitant dans les alentours ne soient pas dérangés par le bruit du stade. Là où je suis satisfait du résultat, c’est le fait d’avoir créé un stade où on peut parfaitement voir le match, peu importe où on est : il n’y a pas un spectateur qui soit mal placé. Les gens ne devaient pas avoir de poteaux ou quelconque obstacle devant eux. L’objectif de la construction de ce stade, c’était la fonctionnalité. Par exemple : que les gens puissent entrer et sortir facilement et rapidement du stade. Il y a peut-être d’autres stades comme la Beaujoire, mais je ne les connais pas. Si j’ai essayé de copier quelque chose, c’est la nature. »


Jean-Charles Verdalle, 40 ans, speaker de la Beaujoire (depuis 2018)

« Quand quelqu’un découvre ce stade, ça coupe le souffle. Quand les joueurs font leur reconnaissance du terrain, même s’ils ont leurs AirPods, même s’ils parlent entre eux, lorsqu’ils passent le tunnel et qu’ils lèvent les yeux, j’entends des “Waouh !” Parce que ce stade, il a quand même une âme, une architecture un peu à la sud-américaine, très ronde, très ovale. Je suis sûr que ça joue dans la ferveur et l’aspect sonore. Il y a une acoustique incroyable, c’est aussi pour ça que la mayonnaise prend bien. Quand je le vois vide, c’est beaucoup plus impressionnant. Ça me fait toujours un truc. C’est un monstre de béton, il est hyperimposant. Tout le monde dira que c’est chiant car il y a des courants d’air, mais le fait que ça siffle un peu fait comme s’il était habité, comme si le chant des supporters résonnait. Ce qui est encore plus beau maintenant, c’est que toutes les entrées ont été peintes ou recouvertes de graffitis aux couleurs du FC Nantes ou de la ville de Nantes. »


Jean-Paul Bertrand-Demanes, 71 ans, ex-gardien du FC Nantes (1969-1987)

« La Beaujoire, c’était la fin d’une époque, l’entrée dans la modernité. Nantes a été dans les premières villes à avoir ce qu’on appelle “un grand stade”. Moi, j’ai toujours préféré les stades à l’anglaise. À Saupin, les spectateurs étaient juste derrière le but, alors qu’à la Beaujoire, il y avait un grand espace derrière moi, je me situais moins bien, j’étais moins à l’aise. Mais c’est un superbe stade, si ce n’est que pendant des années, il y avait un problème de courants d’air. C’était une glacière, c’était terrible. L’architecte ne voulait pas qu’on remette des vitres derrière pour couper le vent. »


Chaker Alhadhur, 32 ans, né à Nantes et ancien joueur du FCN (1998-2015)

« C’est le premier grand stade dans lequel j’ai mis les pieds. J’ai commencé à Nantes à l’âge de 5 ans et on avait deux places gratuites avec notre licence. Mon père m’emmenait à tous les matchs à domicile, j’avais les yeux qui brillaient. Je voyais des joueurs qui ont marqué l’histoire du club et de la Beaujoire : Da Rocha, Landreau… Quand tu viens de Nantes, tu es né à Nantes, tu as fait toute ta formation à Nantes, ton rêve, c’est d’un jour fouler cette pelouse. Chaque match à domicile que j’ai joué à la Beaujoire, ça a toujours été spécial. Pour moi, niveau ambiance, c’est top 3 facile. En tant que supporter, je me souviens d’un 6-1 contre Lyon, quand j’étais petit, j’étais en Jules-Verne. Il y a aussi le titre de 2001, Manchester qui est venu jouer à Nantes en Ligue des champions, avec Beckham. Le but de Mamadou Diallo en 2005 contre Metz, celui-là il restera gravé. J’étais allé sur la pelouse. En tant que joueur, la montée en Ligue 1. »


Thomas, 27 ans, supporter du FC Nantes

« Quand tu montes la rampe de la porte de la Beaujoire et que tu vois l’infrastructure du stade, ça fait quelque chose. Ma première fois, c’était en 2003 ou 2004. C’était en plein hiver, tu voyais les lumières de partout, les projecteurs… Puis, t’as tous les vendeurs ambulants aux alentours, avec ces odeurs de saucisse, de merguez, de frites, qui te mettent directement dans le truc. Mon plus beau souvenir restera le match face à Sedan en mai 2013, qui scelle la remontée. C’est la première fois de ma vie que j’ai vu une véritable marée jaune dans le stade. C’est aussi la première fois que j’ai foulé la pelouse. J’ai même une photo où je suis allongé sur la pelouse en train de faire l’ange. Quand ils ont commencé à parler du Yellopark et de la destruction potentielle du stade, ça m’a fait un vrai pincement au cœur, à la limite des larmes, parce que tu sais qu’il y a des souvenirs qui vont partir avec. Dans un sens, c’est comme si on détruisait ta maison d’enfance.  »


Manou, 64 ans, chanteur du groupe nantais Elmer Food Beat

« Quand nous étions des petites vedettes à Nantes, le président offrait un panier garni aux visiteurs. Forcément, il y avait du muscadet, des BN, des LU, des berlingots, des produits typiquement nantais… et un disque d’Elmer. Ça nous a introduits à la Beaujoire par la grande porte. On a même fait un hymne, qui s’appelle “Du rififi dans la surface”, qui a fait une petite entrée à la Beaujoire et n’a duré que deux ans. Notre éditeur voulait qu’on affiche nos couleurs, comme Oasis avec Manchester City. Mais le texte était ancré dans une époque très précise, ça ne peut pas durer dans le temps. On a joué deux fois sur la pelouse. Une fois dans le rond central, à la mi-temps d’un match. C’était impressionnant car le stade était plein, c’est une drôle de sensation. C’était assez magique de se retrouver là. Et puis une deuxième fois, devant la tribune des supporters, entre le but est et la tribune. On était plus proche des gens. »


Matthieu Bideau, 43 ans, ancien joueur passé par le centre de formation du FC Nantes, actuel directeur du recrutement de ce centre de formation (depuis 2010)

« La Beaujoire, je l’ai découverte en 1994 en tribune Loire, sans siège et sur du béton armé. Mon éducateur à la Stella Maris de Douarnenez était un inconditionnel des Jaune et Vert et il nous avait logiquement amenés humer et découvrir cette mythique enceinte. Ensuite, j’ai eu la chance d’être recruté par Guy Hillion pour intégrer le centre de formation du FCN et j’ai vécu la saison 1996-1997 de l’intérieur. Trente ans après, j’y vais toujours avec ce regard d’enfant et avec un immense respect. De par ma mission au club, je peux naviguer dans les coursives lorsque la Beaujoire rentre en mode compétition le week-end, mais je ne m’y sens pas à l’aise, j’ai l’impression de ne pas être à ma place. Je resterai à vie un adolescent passionné de football qui regarde ce stade avec de grands yeux. Et j’aime ce sentiment. »

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Propos recueillis par Jérémie Baron et Mohamed Bensafi

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