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Angleterre-France : duel entre le maître et le cancre

Par Anna Carreau

La double confrontation entre l’Angleterre et la France dans des matchs qualificatifs pour l’Euro 2025 est l’occasion de faire le point entre un championnat que Jean-Michel Aulas s’est promis de dépasser et la réalité d’une Women’s Super League qui explose tous les records.

Angleterre-France : duel entre le maître et le cancre

Quand Kenza Dali a assisté au tirage au sort des poules pour les matchs de qualification à l’Euro 2025, la Française n’a retenu qu’une seule chose : la double confrontation avec l’Angleterre, les 31 mai et 4 juin prochains. « C’est spécial pour moi. Je vis avec les Anglaises au quotidien. Après l’Euro, c’était difficile, elles ont affiché des photos d’elles avec le trophée dans mon vestiaire. Rachel Daly m’a dit : “La photo va rester jusqu’à ce que la France remporte un trophée” », raconte la milieu de terrain d’Aston Villa, évoluant de l’autre côté de la Manche depuis 2019. Les deux nations, habituées à se chambrer lors des crunchs rugbystiques, sont sur deux dynamiques opposées dans le football féminin : en sélection comme dans les ligues domestiques (qui vont souvent de pair), la France stagne, quand l’Angleterre explose.

Bataille financière et télévisuelle

Finalistes de la dernière Coupe du monde, gagnantes du dernier Euro… Les Lionesses récoltent les fruits d’une révolution démarrée dès 2018, lorsque la fédération anglaise a décidé de professionnaliser ses deux premières divisions féminines et d’en faire des ligues où structures et staffs se mettent peu à peu au niveau de ce qui est proposé chez les garçons. En France, la première division ne sera professionnelle qu’à partir de la saison prochaine, soit six ans après ses voisins anglais. Jean-Michel Aulas n’en démord pourtant pas et assure que la nouvelle Arkema Première Ligue pourrait devenir à terme « la première ligue européenne ». Loin des discours, la réalité est beaucoup moins clinquante pour le projet français. Récemment renégociés, les droits de la D1 Arkema, combinés à ceux de l’équipe de France féminine, plafonnent à 5,3 millions d’euros par saison. Avec, dans le lot, des matchs diffusés en bi-caméra sur la très moderne plateforme FFFTV. Là où la Women’s Super League vient d’acter un contrat à 23,5 millions d’euros pour la saison 2024-2025, avec des affiches diffusées sur Sky Sport et la BBC. Un montant plus de quatre fois supérieur à ce que perçoit notre championnat féminin tricolore, obligé de faire entrer les Bleues dans le package pour faire monter la sauce.

Quand vous marquez un but en Angleterre, il y a 50 caméras, vous avez quatre ralentis et ça fait le tour des réseaux. En D1, il faut aller le chercher au fin fond de YouTube…

Kenza Dali

Une différence d’exposition que ressent Kenza Dali : « Le football anglais n’est pas spécialement meilleur qu’en France, assure l’internationale aux 60 sélections. Ce qui fait son succès, c’est le marketing incroyable, comment on vend le produit. Quand vous marquez un but en Angleterre, il y a 50 caméras, vous avez quatre ralentis et ça fait le tour des réseaux. En D1, il faut aller le chercher au fin fond de YouTube… Des fois, j’essaie de suivre mes copines, et c’est difficile de trouver les matchs. En Angleterre, il y a une appli, Sky, la BBC, etc. C’est simple, le monde entier peut regarder. » En France, à part deux affiches diffusées sur Canal+ les vendredis et dimanches soir, c’est sur le site de la FFF qu’il faut fouiller pour regarder Guingamp affronter Saint-Étienne.

NewCo pour une nouvelle dimension

Mais si la WSL met une vitesse dans sa diffusion, le nerf de la guerre reste la professionnalisation. Un retard que les clubs hors PSG et OL ne peuvent plus combler, certains clubs anglais du bas de tableau proposant aux joueuses des salaires six fois plus élevés que des clubs du haut de tableau tricolore. Et ça ne devrait pas aller en s’arrangeant. Si Jean-Michel Aulas, nouveau président de la LFFP – la Ligue de Football féminin professionnel – a annoncé fièrement en février dernier que « six à sept personnes au sein de la fédération seront entièrement dédiées au développement » de son nouveau produit, la Women’s Super League lui répond en lançant NewCo. En effet, en novembre dernier, les 24 clubs des deux premières divisions anglaises, la Women’s Super League (WSL) et le Women’s Championship, ont voté leur émancipation de la fédération anglaise, pour être pris en charge par une société indépendante, équivalent de notre LFP locale, mais pour le football féminin. Adieu la maternisation de la fédération, bonjour l’organisation indépendante entièrement vouée au développement sportif et économique de la discipline. Et le tout dès la saison prochaine.

« Nous passons – et je ne veux pas manquer de respect, car nous n’en serions pas là sans la FA – d’un poste de dépense au sein d’une instance dirigeante à une entité autonome, génératrice de revenus à but lucratif, indépendante, avec une équipe de gestion professionnelle dévouée à 100 % qui se réveille chaque jour en pensant à ce projet, à la base de supporters, aux clubs et à la manière dont nous allons développer tout cela », a déclaré auprès de The Athletic la nouvelle boss du football féminin anglais, Nikki Doucet, après avoir passé près de dix ans comme dirigeante chez Nike. Avec en tête l’idée qu’il faut faire de la WSL un « produit différent » de celui de la Premier League. « Ce qui a fait le succès du football masculin ne sera pas la même chose que ce qui fait le succès du football féminin », assure la quadragénaire.

Ce qui a fait le succès du football masculin ne sera pas la même chose que ce qui fait le succès du football féminin.

Nikki Doucet

En France, pas question d’entendre parler d’émancipation du championnat féminin ou de modèle différent. « Je ne suis pas partisan d’une ligue complètement autonome », grinçait des dents Jean-Michel Aulas en zone mixte au soir du lancement en grande pompe de la LFFP. La première division tricolore va « à son rythme », comme aime à le rappeler son dirigeant, qui ne veut pas brusquer les différents clubs en imposant trop vite de nouvelles exigences. Une licence club sera mise en place dès la saison prochaine pour s’assurer de la qualité des infrastructures, du centre de formation et des terrains mis à disposition. La deuxième division, elle, devra attendre pour se professionnaliser, sans deadline fixée.

La Ligue des champions comme seul point noir

Un retard vis-à-vis de son voisin qui n’inquiète pour autant pas Philippe Diallo, président de la FFF, qui s’amuse à tacler la WSL sur ses affluences records – 972 301 spectateurs en cumulé, presque 300 000 de plus que la saison passée – en assurant que beaucoup de supporters seraient en fait « des invités ». Une blague pas vraiment drôle, quand on sait que la 3F en est à se vanter d’avoir augmenté de 70% son nombre de spectateurs lors des deux dernières années, en comparant donc avec… la saison COVID. Et le triste bilan en chiffres : seuls 176 256 supporters ont assisté à un match de D1 Arkema cette saison. Les deux locomotives du championnat que sont l’OL et le PSG n’arrivent même pas à attirer sur une saison autant qu’Arsenal en un match, qui a battu le record avec 60 160 personnes rassemblées à l’Emirates Stadium pour la réception de Manchester United. Toujours en train de lancer des dizaines d’études sur le public qui garnit les tribunes des stades masculins, mais pour voir du football féminin, Nikki Doucet veut aussi révolutionner l’arbitrage, les infrastructures, les pelouses… Sans se mettre aucune limite, contrairement à l’actuelle présidente de la WSL et de la Women’s Championship, Dawn Airey, qui avait prédit que la WSL pourrait être la première ligue de football féminin au monde à rapporter un milliard de livres sterling.

Un environnement encore lointain, qui se construira petit à petit dans un foot féminin anglais 2.0, indépendant et lucratif. Pas question par exemple de toucher – pour l’instant – au nombre de clubs composant le championnat (12) ou de dégager les partenaires historiques que sont Sky et la BBC pour trouver des contrats plus juteux. La fédération anglaise se garde une part en tant qu’actionnaire de la nouvelle NewCo – qui changera de nom cet été pour adopter un nom plus footballistique – comme dans la Premier League masculine, sans indiquer quel sera son poids dans les votes des décisions.

Il ne manque plus à la WSL que des clubs capables de gagner la Ligue des champions féminine, comme la Premier League a pu longtemps attendre son tour. « L’écart à combler avec les autres pays n’est pas grand, ce n’est qu’une question de temps, assure l’internationale suisse Lia Wälti, évoluant à Arsenal depuis six ans. De plus en plus d’équipes investissent, de nouvelles joueuses rejoignent l’Angleterre pour renforcer le championnat. Je pense que dans deux ou trois ans, vous verrez une équipe anglaise en finale de Ligue des champions. » La France, elle, peut se targuer d’avoir l’Olympique lyonnais pour masquer ses lacunes, à défaut d’avoir des stades pleins ou une convention collective.

Par Anna Carreau

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