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Angers : comment Amine Salama a fait pour grandir aussi vite ?
Il y a encore neuf mois, Amine Salama faisait son sac le samedi après-midi pour aller jouer contre Les Lilas, Cergy-Pontoise ou encore Chatou dans le groupe A du Régional 1 d'Île-de-France. Désormais, l'attaquant s'entraîne avec Sofiane Boufal et lui délivre même des caviars sous le maillot du SCO. Portrait d'un jeune joueur à l'itinéraire différent et semé d'embûches.
À Angers, le début de saison n’est pas idyllique. Comme prévu. Avec les départs de beaucoup de cadres (Thomas, Mangani, Fulgini, Traoré), les hommes de Gérald Baticle s’attendent sûrement à lutter toute la saison pour leur survie dans l’élite. Deux points en cinq matchs matchs, un déplacement compliqué à Lyon ce samedi, et seulement six buts marqués. Malgré cette entame tristoune, un homme apporte un peu de soleil au SCO. Amine Salama, en seulement 164 minutes de jeu, est impliqué sur deux des six buts angevins et a vécu sa première titularisation en Ligue 1 ce mercredi contre Reims. Dix jours plus tôt, il s’était notamment distingué avec un enchaînement feinte de frappe-râteau-passe dé’ de classe lors de la défaite contre Brest. Ce petit numéro, qui a permis à Sofiane Boufal de sauver l’honneur, les joueurs du Montrouge FC 92 le connaisse bien. « Ça, c’est son péché mignon ! », affirme Aloïs Goussard, qui jouait encore en Régional 1 avec Salama il y a neuf mois. Lors de la deuxième journée de Ligue 1, il avait même ouvert son compteur but chez les professionnels en égalisant contre l’AJA. « Juste avant son match à Auxerre, il nous a apporté un maillot, et je l’avais chambré en lui disant :« On ne va pas afficher le maillot d’un attaquant qui a mis zéro but en professionnel. »Il m’a répondu :« Dans deux semaines, j’ai marqué. »Finalement, il l’a fait trois jours après », raconte Mathieu Laporte, le directeur technique du club montrougien.
Boudé par les recruteurs
Arrivé dans ce club de la banlieue parisienne à 10 ans, le Franco-Marocain de 22 ans évoluait là-bas il y a encore un an, en R1, la sixième division. « Il n’est pas passé par le chemin classique pour atteindre le monde professionnel. Il n’a pas été détecté. Et puis il a continué chez nous jusqu’à son départ pour Dunkerque, à Noël dernier, alors qu’on était en pleine saison avec nos seniors », explique le directeur technique, coach de Salama chez les U13. Même s’il évolue au sein d’une structure réputée pour la qualité de sa formation (Bakayoko, Blas, Ben Arfa), le longiligne attaquant d’1,92m passe à travers les mailles du filet des recruteurs. La faute à un retard physique trop important à l’adolescence qui a refroidi les dénicheurs de talents de la région. « Il faut savoir qu’il avait d’énormes qualités techniques, notamment un excellent pied droit, mais il n’était pas très grand. Il n’avait pas les qualités athlétiques qu’il a maintenant. Il a énormément grandi entre 17 et 19 ans, mais il avait peu de puissance à l’époque. Ça explique pourquoi il n’a pas tapé dans l’œil des recruteurs. Ce qui est décevant parce que les recruteurs se basent essentiellement sur des qualités athlétiques pour attirer des jeunes prêts à jouer immédiatement en U16 ou U17 », analyse Laporte. Et pourtant, le directeur technique le rappelle : « On est suffisamment connu pour notre formation pour qu’il y ait des recruteurs dans les tribunes. Il y avait toujours beaucoup de monde, mais personne ne l’a signalé. »
En même temps, au sein même du MFC 92, Salama ne surnage pas avant sa tardive poussée de croissance. « Dans la région parisienne, t’as beau être au-dessus techniquement, si physiquement t’es un retard, tu peux ne pas être repéré », rappelle Groussard, passé par les centres de formation de l’ESTAC et du Paris FC. De bonnes qualités techniques, un joueur d’équipe systématiquement appelé dans les équipes élite, mais qui ne crève pas l’écran pour autant. « Il a franchi un cap en U18, se souvient son ancien coach. Il a beaucoup grandi, conservé sa motricité, son coup de rein, son pied puis il a commencé à marquer et à avoir un rôle essentiel dans l’équipe. Il a démarré assez jeune en seniors. » Pire, au début de sa première saison chez les grands, en novembre 2020, le Montrougien se fait les croisés lors d’un match de Coupe de France contre Le Plessis-Robinson. Une désillusion alors qu’il revenait d’une semaine de tests dans un club pro. « Il marque le premier but, puis il se fait les croisés. Je le vois en pleurs dans les vestiaires à la mi-temps. Il me fait comprendre qu’il avait une opportunité et que c’était mort. Je lui dis qu’il reviendra plus fort et que ça ne le freinera pas », rembobine son ancien coéquipier.
Des burgers à la dalle angevine
Suffisamment rétabli pour se tenir debout, mais encore trop juste pour courir, Amine s’en va vendre des burgers en guise de job d’été dans un fast-food de Boulogne-Billancourt, à un quart d’heure à pied du Parc des Princes. « Il ne pouvait pas rester debout trop longtemps, donc il devait souvent faire des pauses en s’asseyant cinq-dix minutes dans l’arrière-boutique », se souvient Nidal, le gérant du Mr. Beef de Boulogne, encore impressionné par la vitesse à laquelle le jeune Salama préparait les commandes. Pendant cette période, Amine ne parle que de foot et semble être le dernier à croire en sa bonne étoile. « Il disait qu’en R1, ce serait sa saison avec Montrouge, qu’il reviendrait. Et on ne parlait même pas encore de Ligue 2 ! Nous, on lui disait :« Calme-toi, doucement. »Mais lui était persuadé qu’il allait tout arracher », raconte son ancien boss, qui le connaît depuis l’enfance.
Il revient finalement en septembre 2021, sur la pointe des pieds, encore un peu traumatisé par sa blessure : « Il avait beaucoup d’appréhension, la peur du duel. En plus, c’est un joueur de percussion, donc il a ce besoin d’être relâché. Ça se sentait sur le terrain », témoigne Aloïs Groussard. Au fur et à mesure des semaines, Salama monte en température, retrouve la pleine possession de ses moyens, et se remet à être « un tueur à gages », comme décrit par son ancien coéquipier. Et comme un beau cadeau de Noël, voilà Dunkerque qui frappe à la porte. Mais pas pour jouer directement avec la Ligue 2. « Notre recruteur le fait signer pour l’équipe réserve, mais en lui faisant la promesse qu’il monterait rapidement avec les pros à l’entraînement », explique Romain Revelli, le coach de l’USLD. Finalement, Salama ne fait pas joujou longtemps avec la réserve. Ses qualités charment Revelli (passé par Saint-Étienne, mais sans lien de parenté avec les célèbres frères) qui s’empresse de le promouvoir : « La puissance, la vitesse, la technique à haute vitesse, le jeu vers l’avant, sa gestuelle, son gabarit… Tout de suite, j’ai vu du très bon. Je pensais le faire monter au bout d’un mois ou deux comme je lui avais promis. Mais je l’ai fait au bout d’une semaine. Une dizaine de jours après, je le fais entrer contre le Paris FC. »
Il joue donc ses premières minutes, quatorze exactement, en Ligue 2 contre le PFC (1-1) et tape dans l’œil de Laurent Boissier, coordinateur sportif du SCO, présent dans les travées du stade Marcel-Tribut ce soir-là. Bien conscient du raffut qu’il a créé dans le milieu en faisant entrer ce jeune amateur sans nom sur le maillot et avec le numéro 34, l’entraîneur des Nordistes fait tout pour signer sa pépite. « Le soir même, je demande à mes dirigeants de le verrouiller et de faire un contrat, raconte le technicien. Mais le club ne s’est pas adressé aux bons agents de Salama, et on a laissé passer deux-trois jours pensant qu’ils allaient nous répondre. Donc on l’avait déjà pratiquement perdu. La direction a fait une belle offre, mais il faut aller très vite dans ces cas-là. » Plus vifs et sûrement mieux informés sur son entourage, les Angevins convainquent l’attaquant de signer son premier contrat professionnel au SCO. « Ses caractéristiques correspondaient aux critères qu’on avait établis pour la saison suivante », détaille Gérald Baticle. L’USLD finit par être reléguée, Salama ne délivre qu’une passe décisive, mais s’envole chez les Bianconeri du Maine-et-Loire. Revelli le compare d’ailleurs à un ex de la Vieille Dame, la vraie : Zlatan Ibrahimović. « Par rapport à sa taille, il a une grande aisance dans ses gestes techniques. Ces grands gabarits, c’est rare de les voir aussi à l’aise dans la coordination », précise-t-il. Depuis, il explose à Angers, même s’il a encore des lacunes dues à sa formation hors des structures traditionnelles. « Il a des progrès à faire tactiquement, dans les déplacements, les replacements, explique Baticle. Il lui manque beaucoup de codes qu’il n’a pas eus dans sa formation. Et donc c’est à lui d’aller rapidement chercher ce qu’il lui manque pour compenser. »
Une ascension fulgurante, de la R1 à la L1 en à peine six mois, qui ne lui a pas fait oublier son club formateur et ses copains pour autant. Et surtout les jeunes de la formation des Hauts-de-Seine, puisqu’il était le dirigeant de l’équipe B des U17. « Généralement, les seniors jouaient le samedi et lui faisait les déplacements avec les U17 le lendemain. Il faisait aussi l’arbitre de touche, etc. Quand il a signé à l’USLD, il a organisé un match amical pour ses U17 B qui sont allés jouer à Dunkerque. Il nous a dit qu’il ferait pareil avec Angers, donc ça montre qu’il n’oublie pas son club », confie Mathieu Laporte. Peut-il faire encore mieux que grimper de cinq divisions en six mois ? Peut-être bien si les Lions de l’Atlas, qui l’ont déjà préconvoqué, l’emmènent au Qatar en novembre prochain. De quoi faire rêver son ancien partenaire Aloïs Groussard : « En un an, tu passes de la R1 à la Coupe du monde, ce serait beau. »
Par Léo Tourbe
Tous propos recueillis par LT.