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  • Coupe du monde 2014
  • 8e de finale
  • Allemagne/Algérie (2-1)

Allemagne-Algérie : Le sceau des champions

Par Christophe Gleizes
Allemagne-Algérie : Le sceau des champions

Épique, féroce, tragique, le match qui a opposé l'Algérie et l'Allemagne lundi avait tout d'un combat de boxe. Et le gagnant à la fin n'est pas celui qu'on croit. Comme dans un bon vieux Rocky.

« Avant d’y pénétrer pour la première fois, tu l’imagines, mais tu ne sais pas ce que c’est un ring. Tu ne sais pas ce que ça fait de prendre des coups. Tu sens ton cœur battre, pam-pam, pam-pam ; l’adrénaline qui parcourt tes veines, l’ambiance qui monte, les regards qui te scrutent et te jaugent. Tu es un volcan prêt à exploser. Aller sur le ring, en somme, c’est comme aller sur Mars. » Saïd Skouma, ancien champion d’Europe des Super-Welters, est aujourd’hui rangé. Mais il n’a rien oublié : la sueur qui ruisselle sur la tempe, le rythme cardiaque qui s’emballe, la peur de décevoir. L’envie de s’éclipser. Un huitième de finale de Coupe du monde vaut bien un combat à Las Vegas. Et parce qu’ils sont des hommes, les Fennecs sont sortis du vestiaire les têtes hautes, prêts à tout casser.

Face à eux, dans la moiteur de Porto Alegre, se dresse le champion allemand, au palmarès immaculé. Aucune défaite en trois combats, et un style loué par tous les observateurs. L’outsider algérien, au parcours plus sinueux, n’est qu’un faire-valoir au yeux des bookmakers. Ainsi va la vie des journeymen : comme le jeune Rocky Balboa, ils montent sur le ring en sachant qu’ils vont perdre. Qu’ils ne sont que des bouts de viande prêts à être frappés, lacérés, humiliés pour la gloire du champion. D’ordinaire, ils voguent de matchs nuls en défaites, emportés sans retour dans leurs rêves de gloire éphémère. Ces hommes-là ont du cœur. Des tripes. Ils ne tombent pas sans combattre. Face à la rapidité, la technique et la force de frappe de l’Allemand, ils ont une arme : le courage et l’abnégation.

Des larmes et du sang

Dans ce microcosme corrompu où les meilleurs s’esquivent, où les matchs se truquent, comme en 1982, ils ont pour seule ambition d’exister en tant que combattant. Tel un taureau qui entre dans l’arène, leur seule vraie liberté est de choisir la manière dont ils quittent le ring. Avec panache, sous les vivats de la foule, ou sans honneur, irrémédiablement brisé par plus fort que soi. La boxe a ceci de cruel qu’elle est le théâtre humain d’une mise à mort, souvent symbolique, parfois réelle, et toujours dramatiquement distillée par petites touches, au fil des rounds. Sous les projecteurs, il n’y a pas de retour en arrière. Et les 42 000 spectateurs du Stadio Beira-Rio en veulent pour leur argent : il leur faut des larmes. Et du sang.

Un dernier conseil avisé d’Halilhodžić, fidèle second, et le gong retentit. On commence par s’observer, de peur de prendre un mauvais coup d’entrée. Le noble art regorge de champions brisés par une droite anodine, alors autant limiter les risques face à ce challenger déjà condamné, qui a pourtant fière allure… Son regard de braise ne trompe pas. Très vite d’ailleurs, c’est lui qui prend à son compte le combat, sous les acclamations d’un public transi. Ses combinaisons rapides et précises, nommées Feghouli, Mostefa ou Ghoulam, percent par trois fois la garde resserrée du champion, légèrement bedonnant. Un direct, porté par Slimani, semble même toucher l’Allemand, qui tombe de tout son poids sur le sol. Las, l’arbitre n’annonce qu’une glissade. Rien n’est compté.

Cette entrée en matière inattendue annonce un duel tendu et serré. Comme dans tous les sports, rien n’est plus réjouissant que de voir l’outsider perturber le champion. Les rounds défilent, équilibrés, entre un favori qui domine techniquement son sujet, marque des points par petites touches bien placées, et un challenger sans complexe qui joue sa partition crânement. Avançant toujours malgré les coups, serrant les dents sans reculer, il fait douter le géant germanique. Trop imprécis, ce dernier n’arrive pas à concrétiser ses multiples occasions : à chaque uppercut tenté, le menton algérien se dérobe dans un rideau de fumée, que dévoile bientôt un direct revanchard et rageur. Embarqués sans retour dans leurs derniers retranchements, les deux pays offrent un spectacle fascinant, comme seuls ont pu en livrer Joe Frazier et Mohammed Ali.

Last man standing

Cela fait maintenant 90 minutes que le titan teuton s’essouffle vainement. Plus que jamais, il est prenable. C’est à ce moment précis, ivre de coups et d’adrénaline, que l’Algérien baisse finalement sa garde. Il a vu les traits marqués du champion, fantasmé sa victoire finale. Courageux, il s’est rué à l’attaque pour décider de son destin. Mais en guise de ceinture, il n’a reçu qu’un contre assassin, brillamment exécuté par Schürrle. Le genou à terre, l’Algérie contemple le vide, mais refuse d’abandonner. Au courage, le challenger se relève, charge à nouveau la bave aux lèvres, fait vibrer la foule toute acquise à sa noble cause. L’illusion du come back dure de longues minutes ; mais l’outsider rend finalement les armes sur un one-two parfait de Mesüt Özil. Deux KO à zéro. La messe est dite.

Sonné, battu, brisé, l’Algérien va abandonner. Dans le coin, Vahid est à deux doigts de jeter l’éponge. Il serait aisé de rester à terre, dans les limbes où il fait chaud, où tout est suave et doux, où il n’y a plus de coups, seulement des regrets. Tout à l’heure si proche, la victoire n’est maintenant plus qu’un doux mirage, que son cerveau embrouillé peine à distinguer. Ses jambes, auparavant solides, ne répondent plus. Ses poumons, jadis si forts, peinent à brasser de l’air. Ses oreilles n’émettent maintenant qu’un son assourdissant, comme le ferait une nuée d’insectes. Et dans cette sombre nuée, les yeux fermés, il croit percevoir tout au fond les clameurs de la foule. Ses partisans qui l’appellent de loin, à Barbès ou à Alger, et qui l’ont toujours soutenu et supporté.

Seul un surhomme peut inquiéter un titan. Alors au courage, les yeux bouffis et embués par le sang caillé, portés par les rêves de toute une vie et les innombrables heures d’entraînement, il se relève doucement. Toise le champion, sent vibrer la foule. Profite de l’instant. Intimidé, le crack apeuré expédie un dernier crochet pour clore le match. Mais son poing d’acier ne trouve en face qu’un homme survolté et déjà mort, prêt à l’emporter avec lui en enfer. Un direct du droit dans les mâchoires de Neuer fait vaciller le roi, qui pose enfin les fesses par terre, plus surpris que battu, tandis que résonne le gong final. Épuisée et vidée, l’Allemagne s’impose aux points et conserve sa couronne. Mais elle est à terre, tandis que l’Algérie la contemple debout. Telle un vrai challenger, elle a regardé jusqu’à la fin son adversaire dans les yeux. C’est la marque des grands. Le sceau des champions.

Par Christophe Gleizes

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