En quoi la pression était-elle différente de d’habitude ?
Avant le match, j’ai ressenti un truc bien plus fort qu’un an plus tôt quand on était en finale de Coupe de France contre Bordeaux (défaite 3-2). Parce que pour le coup, on avait tout à gagner, alors qu’à Sochaux, il y avait énormément à perdre. Si on perdait, c’était une déception collective. Des gens allaient perdre leur emploi. Je suis arrivé au club il y a cinq ans et demi. J’ai vu des gens arriver pour bosser ici. Pas grâce aux joueurs, mais disons qu’on a aidé à ça en participant aux montées du club de National en Ligue 1. Le principe de faire perdre un emploi à quelqu’un m’était insupportable, je ne pensais qu’à ça. La semaine du match, dès qu’un salarié du club me souhaitait « bon match » , je ne pouvais pas m’empêcher de penser que je jouais pour qu’il garde son emploi. En perdant, j’en sais rien, deux-trois commerciaux auraient peut-être sauté.
Il paraît que la veille du match, tu n’as pas dormi…
J’ai essayé de me coucher à 23h et j’ai trouvé le sommeil que vers 2 h. Puis je me suis réveillé à 5h30. Là, impossible de me rendormir, je ne pensais qu’au match. Le lendemain, puisqu’on a au moins quatre heures pour faire la sieste, je me suis dit que j’allais me rattraper. Mais je repensais au match. Puis je me suis dit : « Arrête de penser au match ! Pense aux vacances qui arrivent derrière ! Tu vas aller voir ton frère, emmener tes enfants à Eurodisney… » Et dans ma tête, ça se retournait : « Mais arrête ! Les vacances ne seront bonnes que si on se maintient en Ligue 1 ! C’est ce match qui va conditionner le reste. » Alors je ne repensais qu’à Sochaux en me convaincant par exemple de mettre plus d’intensité dans les duels, comme si je ne jouais pas à fond d’habitude. Bref, je n’ai pas dormi. C’était limite de la peur.
Quand le match a commencé, as-tu craint que tout ça te tétanise ?
Beaucoup de sportifs le disent et c’est vrai : dès que l’arbitre siffle, tu n’as plus le temps d’avoir peur. Il y a trop de choses auxquelles tu dois penser. Non, le plus dur à gérer, c’est l’avant-match. La journée est longue et la veille, je ne t’en parle même pas.
Quand tu marques le but du 2-0, tu ressens quoi ?
Déjà, je me dis que les miracles existent dans le foot puisque c’est le premier but que je mets du pied. Enfin il y en avait eu un en L2 il y a longtemps mais depuis, je les avais tous mis de la tête. Au-delà du fait que les mecs allaient me chambrer – puisque c’était aussi mon premier but de la saison – j’ai pensé à tous les gens qui s’étaient raccrochés à des signes pendant la semaine en pronostiquant que j’allais marquer. Mon premier but en L1, je l’avais marqué à Sochaux (1-1 à la 91e, le 22 octobre 2011)
D’un point de vue personnel, la saison n’a pas été simple…
J’ai alterné des bonnes et des mauvaises choses. Et cette année, je savais d’entrée que ce serait compliqué. On était trois pour deux postes : Mensah, Mongongu et moi. Il y a eu un turnover mais c’est moi qui ai le moins joué des trois. Le coach m’a remis sur le terrain pour les trois derniers matchs.
Toute cette lumière sur Sochaux ne pouvait que faire nos affaires
Ces derniers temps, la France s’est mise à aimer Sochaux. Ce n’était pas trop vexant en tant que joueur de l’ETG de constater qu’il y avait un fossé entre vous au niveau de la popularité ?
Ce qui est sûr, c’est que des mecs du groupe l’ont mal pris. Moi, je voyais ça différemment. Dans une logique de communication, pour moi, c’est le top. Attention, ce que Sochaux a fait, c’est très fort. Je pense juste que tout ce qu’on a pu dire sur eux les a desservis. À l’inverse, leur parcours depuis cet hiver est aussi dû au fait que tout le monde les avait enterrés à la trêve. Ils avaient trouvé de la force là-dedans. Ils étaient moins à l’aise dans la peau du favori.
À Évian, les joueurs ont eu interdiction de donner des entretiens individuels la semaine précédant la rencontre. Le silence aide-t-il tant que ça à la concentration ?
Ce n’était pas une consigne de l’entraîneur ou de qui que ce soit au club. C’est dans le vestiaire qu’on a décidé ça. Puisqu’aux yeux de pas mal de gens, l’acteur, c’était Sochaux, on a surjoué notre rôle de spectateur. On va se taire, se mettre dans un fauteuil, prendre du popcorn et regarder ce qui se passe. Je le répète : on n’était plus acteurs.
Parle-nous de ce moment où Pascal Dupraz vous a parlé de l’histoire du club la semaine du match…
Il n’a pas tant insisté que ça cette semaine, ça n’a pas été une longue causerie. Il y a des gars dans l’effectif qui sont de la région, comme Kévin Bérigaud ou Johann Durand, un de nos gardiens de but. Eux aussi peuvent raconter le club. Chaque club a son histoire. Ici, c’est vraiment très particulier, mais il ne m’est jamais venu à l’idée de me plaindre des infrastructures par exemple. Jusqu’à l’année dernière, on n’avait pas de vrai centre d’entraînement. Nos séances s’étalaient sur plusieurs villes. Ça faisait partie du club. Regarde, Christian Poulsen a joué à l’ETG il y a deux ans. Un mec comme lui, avec les clubs dans lesquels il a évolué, il n’a jamais dit que le terrain n’était pas terrible. C’était un chien à l’entraînement. Juste avant Évian, il était pourtant à Liverpool… Voir Poulsen respecter à ce point le club ne donnait envie à personne de se permettre de critiquer quoi que ce soit.
Pascal Dupraz dit de toi que tu as « le club dans la peau » . Quand tu es arrivé il y a cinq ans et demi et que le club était en National, tu avais déjà 28 ans. Tu t’es dit que ça allait être LE club de ta carrière ?
Non, jamais. J’ai gravi les échelons avec le club. Si ça ne s’était pas fait ici, je n’aurais jamais connu la Ligue 1. Tout ça, je le dois vraiment au club. C’est magnifique. En dehors du foot, je me suis construit en tant qu’homme. Moi, je suis du Havre, mais mes deux enfants sont hauts-savoyards !
Tu arrives en fin de contrat et vois les dirigeants en fin de semaine. Penses-tu que le but que tu as marqué à Sochaux et ton statut d’ancien de la maison te garantissent un nouveau contrat ?
Je ne veux pas qu’on me fasse un cadeau mais qu’on me permette de jouer parce que je le mérite. D’ailleurs, pour moi, il n’y a pas d’anciens ou de jeunes. Dans un vestiaire, il y a des joueurs du même niveau et qui ont les mêmes droits. Les jeunes doivent laisser leur timidité au placard et être ancien, ce n’est pas un statut qui doit te permettre d’avoir des privilèges.