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Agnelli : un président ne devrait pas dire ça

Par Adrien Candau
Agnelli : un président ne devrait pas dire ça

Consulté lors d'un sommet sur le football organisé par le quotidien Financial Times à Londres, le président de la Juventus a défendu une vision dangereusement élitiste des compétitions européennes organisées par l'UEFA. Notamment en visant nommément l'Atalanta, qui, à l'en croire, n'aurait pas entièrement mérité sa place en C1 cette année après avoir « effectué une seule bonne saison. » Un discours qui tache et qui fâche.

Plus personne n’en doute depuis longtemps : Andrea Agnelli est un homme à prendre au sérieux. Voilà plusieurs années que lui et son ancien binôme, Karl-Heinz Rummenigge, font planer sur le foot continental la menace de la création d’une ligue fermée, réservée aux clubs de l’élite européenne. Pour comprendre l’ampleur du phénomène, il faut rembobiner les bandes en 2015 : à l’époque, le président de la Juventus intégrait le comité exécutif de l’UEFA, en qualité de vice-président de l’association européenne des clubs (ECA). Soit l’organisme qui représente les clubs continentaux, dont le comité exécutif est nettement dominé par les formations les plus puissantes du football européen. En septembre 2016, l’UEFA, applaudie par la direction de l’ECA, annonçait une réforme de la Ligue des champions de 2018 à 2021, qui prévoyait d’accorder quatre places qualificatives pour la C1 aux quatre championnats avec le meilleur coefficient UEFA.

Enfin, en 2017, Andrea Agnelli prenait la direction de l’ECA et annonçait que des discussions étaient en cours avec l’UEFA, en vue de nouvelles modifications des formats et conditions d’accès aux coupes européennes. Face aux rumeurs insistantes de création d’une ligue fermée, le bonhomme avait tenu à rassurer son monde, en octobre 2019 : « Les compétitions européennes doivent rester ouvertes à tous… Le format n’a pas encore été décidé, mais l’accès doit être fondé sur le mérite sportif. »

Mérite à deux vitesses

Mais de quel mérite sportif Andrea Agnelli parle-t-il ? La notion est suffisamment vague pour justifier la vision aux contours élitistes que projette le président de la Juventus sur l’avenir du football européen. En attestent ses récentes déclarations sur l’Atalanta, actuel brillant huitième-de-finaliste de la C1 et bien parti pour intégrer le top 8 continental cette saison : « J’ai le plus grand respect pour ce qu’accomplit l’Atalanta, mais sans avoir de passé dans les compétitions européennes, après une seule bonne saison, ils participent à la Ligue des champions. Est-ce que c’est juste ? »

En substance, le grand manitou piémontais explique que les gros clubs historiques doivent être protégés et favorisés, en pouvant participer à la Ligue des champions, même quand ils ne se qualifient pas sur le terrain : « On pense à la mise en place d’éléments correctifs pour ces clubs, afin de leur permettre de prospérer… Un club pourrait conserver son statut dans les compétitions internationales, à partir du moment où il atteindrait un niveau minimum dans son championnat… Je pense par exemple à la Roma, qui a contribué ces dernières années au maintien du classement italien (au ranking UEFA, N.D.L.R.). Ils ont eu une mauvaise saison et sont sortis, avec tous les dommages qui en découlent pour eux financièrement… » Les éléments pour désamorcer les arguments du président bianconero sont évidemment légion : le prototype de ligue fermée qu’il semble esquisser signerait la fin de la pluralité des clubs au plus haut niveau continental, l’accroissement des inégalités entre formations dites « historiques » et les autres, voire le déclassement quasiment définitif des championnats intermédiaires (France, Pays-Bas, Portugal etc.).

Dans une ville qu’on appelle Bergame

En choisissant l’Atalanta pour exemple du soi-disant manque d’équité réservé aux formations historiques du continent, Agnelli a d’autant plus affaibli son propos : le « mérite » sportif dont il fait mention n’a sûrement pas mieux été incarné en Italie que par la formation lombarde ces dernières années. Quatrième, septième puis troisième de Serie A lors des trois dernières saisons, actuelle quatrième de l’exercice en cours, la Dea a augmenté radicalement son chiffre d’affaires, de 42 millions d’euros annuel en décembre 2014, à 99 millions à la fin 2018. Le tout sans investisseur débarqué en cours de route, pour faire exploser les recettes du club. Mais bien grâce au travail structurel fourni sur le terrain par Gian Piero Gasperini, à la tête de l’équipe A depuis 2016.

La qualité de la détection, de la formation, comme de la post-formation du club, réputé depuis plusieurs années pour être ce qui se fait de mieux en la matière en Italie, est aussi une composante majeure de son succès. L’Atalanta s’est de fait construite brique par brique, saison par saison, prenant le relais symbolique du Napoli de Sarri pour incarner l’équipe romantique de la Serie A. Après trois excellents exercices, elle se voit ainsi fort logiquement récompensée de ses efforts : la voilà quasiment en quarts de finale de C1, après son éclatante victoire face à Valence, le 19 février dernier. La Juventus d’Agnelli, dont le budget est pourtant plus de quatre fois supérieur à celui de la Dea, ne peut pas encore en dire autant, après sa défaite 1-0 au Parc OL. Et si la notion de mérite est toute relative, Andrea Agnelli aurait sans doute bien du mal à justifier que sa Vieille Dame, si triste, si minimaliste à Lyon la semaine dernière, soit plus digne de voir la suite de la Ligue de champions que cette Atalanta-là.

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