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C’est quoi ce nouveau scandale d’arbitre payé par le Barça ?

Par Servan Le Janne
C’est quoi ce nouveau scandale d’arbitre payé par le Barça ?

C'est une affaire qui a fait grand bruit en Espagne cette semaine. Pendant près de 20 ans, le FC Barcelone aurait versé des millions à José María Enríquez Negreira, le numéro 2 du comité technique des arbitres, en échange de conseils dont la preuve reste à apporter.

Il ne pleut pas souvent en Catalogne, mais ça peut durer un moment. En ce mois de février maussade, le Barça n’arrive plus à voir un coin de ciel bleu. Trois jours après avoir publié les extraits d’un rapport de gendarmerie, où il est indiqué que « certains journalistes recevaient de l’argent du club » sous la présidence de Josep Maria Bartomeu (2014-2020), la presse espagnole a rouvert le robinet à scandales mercredi 15 février. Selon des documents obtenus par la Cadena Ser, la direction aurait aussi copieusement arrosé le numéro 2 de l’arbitrage pendant de longues années. « Le Fútbol Club Barcelona a payé 1,4 million d’euros à une entreprise appartenant à José María Enríquez Negreira entre 2016 et 2018, indique un article publié sur le site de la radio. À l’époque, cet ancien arbitre de première division occupait le poste de vice-président du Comité technique des arbitres (CTA) de la Fédération royale espagnole de football (RFEF). Il en a été le vice-président de 1994 à 2018. » À quoi correspond cette somme ? La justice aimerait bien le savoir.

En janvier 2021, les tribunaux espagnols ont reçu un signalement du fisc au sujet de Negreira. Son entreprise, DA SNIL 95, n’avait pas déclaré comme il se devait ses factures émises à l’égard du FC Barcelone (FCB) entre 2016 et 2018. Le septuagénaire s’est donc acquitté d’une amende rubis sur l’ongle. Mais les montants en question ont alerté l’administration fiscale. En trois ans, DA SNIL 95 avait reçu la bagatelle de 1,4 million d’euros de la part du club. Or, d’après les inspecteurs des impôts cités par la Cadena Ser, Negreira « n’a apporté aucun document accréditant qu’il offrait un service au FCB ». Il s’en est avéré incapable, selon ses dires, car tout était réalisé verbalement. C’est ainsi à l’oral que ce Catalan aurait conseillé aux Blaugranas d’être plus ou moins psychologues à l’égard de tel ou tel arbitre. Il leur aurait également permis de « s’assurer qu’il n’y eût pas de décisions à leur encontre » et qu’un traitement « neutre » leur était accordé.

Le conseiller était trop bien placé

Difficile à avaler ? Le propre fils de Negreira en convient. Interrogé par la police en sa qualité d’administrateur de l’entreprise, Javier Enríquez Romero a contredit la version de son père. À l’en croire, un rapport sur le comportement d’un arbitre était envoyé chaque semaine. Sa façon de gérer la pression ou sa sévérité était passée au crible. Ce document était accompagné d’un DVD permettant d’apprécier les prestations de l’homme en noir en images. « Il est normal qu’un club de cette taille cherche à obtenir ce genre d’informations », précise Pavel Fernandez, lui-même arbitre et consultant pour Radio Marca. Le Real Madrid et le Séville FC en font par exemple de même. Mais quand ces équipes s’offrent les services de spécialistes du sifflet, elles leur proposent d’intégrer le staff contre un salaire bien plus modeste et elles veillent surtout à ne pas rémunérer un officiel en fonction. « Les chiffres évoqués par la Cadena Ser ne correspondent pas aux standards du marché, continue Fernandez. Mais le plus grave, c’est que le Barça a payé le numéro 2 du CTA. Cela pose un gros problème moral et éthique. » Dans un communiqué publié le jour des premières révélations, le FC Barcelone a reconnu avoir eu recours à un prestataire afin d’obtenir « des rapports techniques en lien avec l’arbitrage professionnel ». Ce texte affirme toutefois que « c’est une pratique habituelle dans les clubs de football », qui est aujourd’hui assurée en interne par un ancien arbitre, Ricardo Segura García. DA SNIL 95 a reçu un dernier paiement du Barça en juin 2018. Un mois plus tard, Negreira quittait le CTA.

« Pep Segura, qui était notre directeur sportif, et [le PDG de l’époque] Òscar Grau ont décidé de réduire les coûts », justifie Bartomeu dans les colonnes d’El Mundo. Contacté par nos soins, Òscar Grau s’est refusé à tout commentaire. La direction actuelle n’est guère plus bavarde. Ces derniers temps, les équipes du président Joan Laporta ne s’étaient pourtant pas privées de pointer la gestion baroque de Josep Maria Bartomeu, aux manettes entre 2014 et 2020. Au terme d’un audit, Laporta a accusé son prédécesseur de « faux en écritures comptables, abus de biens sociaux, appropriation illicite », selon les mots de son avocat, Jaime Campaner. Joint par e-mail, ce dernier préfère néanmoins ne pas charger la barque en commentant l’affaire Negreira. Car son client pourrait être mouillé au passage. Lors du premier mandat de Laporta à la tête de l’institution, entre 2003 et 2010, DA SNIL 95 était déjà dans les parages.

Negreira pas vos oreilles

Né à Barcelone le 6 septembre 1945, José María Enríquez Negreira a été arbitre professionnel de 1975 à 1992. Deux ans après avoir rangé les cartons, il a été nommé vice-président du Comité technique des arbitres (CTA) de la Fédération royale de football espagnole (RFEF). À ce poste, « il assistait le président, mais ne pouvait pas choisir les arbitres qui allaient officier », précise Pavel Fernandez. « En revanche, il donnait son avis pour les promotions et les rétrogradations. » À peine en fonction, notre homme a fondé DA SNIL 95, une entreprise dédiée au commerce de gros alimentaire. Ses statuts ont été changés en 2000 pour lui permettre de se consacrer à « la publicité pour les entreprises, la promotion, les cadeaux, l’impression de textes et la réalisation de vidéos sportives ». Et à en croire Josep Maria Bartomeu, un gros contrat est vite arrivé. « La première facture signée pour le club date de 2001, quand Joan Gaspart était président », a-t-il retracé dans les colonnes d’El Mundo. Seulement voilà, l’intéressé n’en a aucun souvenir. « Mon Barça n’a jamais fait ça », s’est défendu Joan Gaspart au micro de la Cadena Ser. Seul ancien dirigeant à avoir pris la parole publiquement, Gaspart a ajouté que cette affaire « sentait mauvais ». Quoi qu’il en soit, José María Enríquez Negreira a nommé son fils administrateur unique de DA SNIL 95 en 2004. Javier Enríquez Romero est ainsi « celui qui faisait les rapports », observe Bartomeu. Et de jurer que « les rapports physiques existaient ».

Je n’ai aucune volonté de rendre publiques toutes les irrégularités dont j’ai eu connaissance et dont j’ai pu faire directement l’expérience. Mais vous m’obligeriez à le faire si vous ne reconsidérez pas votre décision.

José Maria Enriquez Negreira, dans une lettre envoyée à Bartomeu en 2019

Selon le décompte réalisé par El Mundo, DA SNIL 95 a facturé 6 659 488 euros au Barça de 2001 à 2018, avec un pic de 573 398 euros lors de la saison 2009-2010, sous la première présidence de Joan Laporta. Le journal en ligne El Confidencial ajoute que les revenus de la société – qui provenaient presque exclusivement du club – ont de nouveau dépassé les 500 000 euros en 2016 et 2017, lorsque Bartomeu était au pouvoir. Lequel Bartomeu est finalement celui qui a cessé les frais en 2018. Cela ne s’est pas fait sans fracas. « Ma surprise et ma déception ont été immenses », écrit Negreira dans une lettre envoyée à Bartomeu le 5 février 2019 et dévoilée par El Mundo. « J’ai la ferme intention de porter plainte devant les tribunaux, ce qui aura sûrement des conséquences négatives », poursuit-il. L’ex-numéro 2 des arbitres étoffe alors sa menace : « Je n’ai aucune animosité personnelle envers quiconque au club ni aucune volonté de rendre publiques toutes les irrégularités dont j’ai eu connaissance et dont j’ai pu faire directement l’expérience. […] Mais vous m’obligeriez à le faire si vous ne reconsidérez pas votre décision et ne remplissez pas l’accord que nous avions en continuant à recourir à mes services jusqu’à la fin du mandat présidentiel. »

Le Barça prend l’eau

Un an plus tard, le Barçagate explosait. Sur les ondes de la Cadena Ser, les journalistes Adrià Soldevila et Sergi Escudero révélaient l’existence d’un contrat entre le FC Barcelone de l’ère Bartomeu et la société I3 Venture. La mission était de défendre la réputation du président du club de l’époque en s’attaquant notamment à ses ennemis via une flopée de comptes anonymes sur les réseaux sociaux. En plus de cette campagne numérique – qui ciblait jusqu’à des Blaugrana comme Lionel Messi et Gerard Piqué –, l’équipe de Bartomeu a approuvé des « paiements à des journalistes avec des motifs douteux », selon les conclusions de l’enquête interne partagées par Joan Laporta le 1er février 2023. Sans parler des soupçons d’irrégularité sur des transferts. Le dossier a été transmis à la justice, qui a déjà fort à faire avec le cas Negreira. Si l’on en croit les derniers éléments dévoilés par la presse, son fils, Javier Enríquez Romero, utilisait une deuxième entreprise, baptisée Soccercamp, pour envoyer des factures au Barça. Ces paiements correspondraient aux fameux rapports et DVD dont il se prévaut. Dès lors, que faisait-il en tant qu’administrateur principal de DA SNIL 95 ? « À ce stade, on est incapable de le dire », concède au téléphone Jesús García Bueno, qui enquête sur l’affaire pour El País.

Mais ce n’est pas tout. Le parquet soupçonne les deux hommes d’avoir touché de l’argent blaugrana par le truchement d’une troisième société. Tresep 2014 était contrôlée par un ancien membre des équipes de Joan Gaspart et Josep Maria Bartomeu, le défunt Josep Contreras Arjona. « L’enquête va se poursuivre, et de nouveaux éléments vont apparaître », devine Pavel Fernandez. Le Barça ne s’expose à aucune sanction sportive, ce genre de faits étant prescrits au-delà d’un délai de trois ans en Espagne. Sur le volet judiciaire, une condamnation pour « corruption entre particuliers » pourrait être requise, pourvu que les juges parviennent à démontrer que le club cherchait à altérer le jugement du corps arbitral. Dans le cas contraire, les factures de DA SNIL 95 pourraient relever de l’abus de biens sociaux, s’il s’avérait qu’aucun service correspondant n’a été fourni. L’image du club n’en ressortira pas grandie, sans parler de l’image des arbitres. « Je crois en leur honnêteté, ajoute Fernandez. J’ai beaucoup d’amis qui ont officié du temps où Negreira était numéro 2 du CTA et ils n’ont jamais reçu aucun ordre. » Reste à éclaircir la nature des services fournis par DA SNIL 95, Soccercamp et les autres sociétés qui ont gravité, ou gravitent peut-être toujours, autour de l’équipe catalane.

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Par Servan Le Janne

Propos de Pavel Fernandez et Jesús García Bueno recueillis par SLJ.

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