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Adieu Istra !

Par Alexandre Doskov, tout juste rentré de 5 semaines à Istra
Adieu Istra !

Personne n'a jamais mis les pieds à Istra, et rien ne destine un homme normalement constitué à aller visiter cette petite ville ennuyeuse à mourir de l'ouest de Moscou. Mais aujourd'hui, 67 millions de personnes connaissent son nom. Normal, c'est là que les Bleus viennent de passer plus d'un mois. Et qu'ils ont en partie bâti leur victoire.

Le tweet démarre par trois mots simples : « Au revoir Istra. » La suite ? Deux points d’interrogation, et un emoji d’une petite main qui fait coucou. Enfin, qui fait plutôt bye bye, en l’occurrence. Le tout assorti d’une vidéo de huit secondes montrant Benjamin Mendy qui monte dans le bus des Bleus après avoir eu le temps de faire cinq dabs. Soit une moyenne d’un dab toutes les secondes et demie, auront noté les statisticiens. Le community manager de la FFF n’a pas toujours eu des bonnes idées pendant la Coupe du monde. Pour rédiger la carte postale d’adieu au camp de base des Bleus, il a donc préféré jouer la carte de la sobriété. Et alors qu’en début de Mondial beaucoup de choses ont été dites sur le manque d’occupations des Bleus à Istra, les nouveaux champions du monde ont donné l’impression de quitter les lieux avec un pincement au cœur.

« J’aurais même pu vivre un mois de plus avec eux, ça se passe tellement bien » , regrettait carrément Samuel Umtiti avant la finale. Il faut dire que dans leur grand hôtel transformé en centre aéré, les tricolores se sont amusés comme des petits fous. En fait, ils n’ont même jamais mis les pieds hors du domaine et n’ont pas croisé un seul habitant de la ville en plus d’un mois passé sur place. Raphaël Varane, rieur entre deux matchs : « On n’a pas beaucoup côtoyé les gens d’Istra… Mais le personnel de l’hôtel est cool avec nous. » La petite ville paumée 75 kilomètres à l’ouest de Moscou restera pourtant à jamais associée au triomphe de l’équipe de France. Pas facile de dire au revoir à un endroit où on a écrit la plus belle page de sa vie. Aussi ennuyeux soit-il.

Raïon et oblast

En réalité, dire que les Bleus étaient basés à Istra pendant la Coupe du monde est presque une erreur. L’équipe de France logeait au Hilton Garden Inn Moscow New Riga, un hôtel situé à Kostrovo, à un peu plus de 10 kilomètres de la ville d’Istra. Ils s’entraînaient au stadium Glebovets, à Glebovskyi, un village à 20 minutes de voiture au nord de Kostrovo. Le tout étant situé dans le raïon (l’équivalent d’un district) d’Istra, et dans l’oblast (l’équivalent d’une région) de Moscou. Les subdivisions administratives de la Russie ont leurs raisons que la raison ignore. En fait, le seul élément réellement installé à Istra était le centre des médias dans lequel les joueurs venaient quotidiennement pour donner des conférences de presse, et où les journalistes pouvaient bosser dans de grandes salles de travail.

Alors pourquoi considérer que le QG est à Istra ? Sans doute car il s’agit du centre névralgique du coin. Et du seul endroit qui mérite l’appellation « ville » . Et pourtant, on parle là d’une bourgade de 35 000 habitants sans aucun autre intérêt que son monastère, petit bijou architectural du XVIIe siècle. Et en y réfléchissant bien, il s’agissait de l’endroit parfait pour que les Français restent dans leur compétition et créent cet esprit de groupe incroyable qui les a portés vers la victoire. « J’ai cru comprendre que ça commençait à prendre en France, mais on a du mal à ressentir ça à Istra. C’est peut-être mieux, on reste protégés » , lâchait Adil Rami la veille de France-Uruguay.

Le stade Glebovets, où s’entraînaient les Bleus

White Fox

S’ils s’étaient installés ailleurs qu’au milieu de ces forêts de pins interminables, les Bleus auraient-ils réalisé le même parcours ? D’autres sélections ont fait le choix du confort. Les Brésiliens, par exemple, qui profitaient de leur temps libre pour boire des jus de fruit près des plages de Sotchi. Pas une idée géniale quand on veut que l’équipe ne s’éparpille pas. La FFF a préféré l’isolement, et elle a eu raison. « C’est la volonté du coach et de la Fédération » , confiait Noël Le Graët avant le début du Mondial, flairant le bon filon. « Les Bleus sont très protégés, mais c’est plutôt pas mal. » Un mois plus tard, encore trempé par le champagne que ses joueurs venaient de lui verser dessus, Didier Deschamps n’a d’ailleurs pas oublié de placer une dédicace à Istra après la finale : « Ça a été une très belle Coupe du monde, d’abord parce qu’on avait un camp de base qui était merveilleux. »

Le sélectionneur sait que son équipe est devenue une famille entre deux partie de ping-pong dans la salle commune de l’hôtel, que les discussions jusqu’à pas d’heure dans la chambre d’untel ou untel ont soudé ses gars, et que le fait d’être loin de tout le reste a permis aux joueurs de se rapprocher les uns des autres. Pour s’offrir leur seule sortie en boîte pendant la compétition – après la victoire contre l’Argentine –, les Bleus ont dû faire le trajet jusqu’à Moscou. Pas étonnant quand on sait que le seul lieu nocturne du centre d’Istra est le White Fox, un pub quelconque à la déco irlandaise coincé en bas d’une barre d’immeubles en briques rouges. Les Français ont donc dit adieu à cette ville dans laquelle ils ne retourneront jamais, mais à laquelle ils penseront pour toujours. Adieu Istra, ses arbres, ses canalisations de gaz en plein air, ses routes bosselées, ses bâtiments sans vie et sa monotonie. C’était franchement bien, dans le fond. Et ça valait bien cinq dabs en huit secondes.

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Par Alexandre Doskov, tout juste rentré de 5 semaines à Istra

Tous propos recueillis par AD

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