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Ada Hegerberg : « Je vis un rêve, je suis plongée dans la performance »

Propos recueillis par Thomas Rostagni
Ada Hegerberg : « Je vis un rêve, je suis plongée dans la performance »

Ce lundi soir, au théâtre du Châtelet, Megan Rapinoe gagnera probablement le deuxième Ballon d’or de l'histoire et succédera ainsi à Ada Hegerberg. La Norvégienne de l'OL aurait pu prétendre au doublé, rapport à son palmarès en club (coupe, titre national et Ligue des champions), mais elle n'a pas participé à la Coupe du monde de l'été dernier. Elle boycotte sa sélection depuis 2017, car elle juge sa Fédération trop « amateur » et trop portée sur l'aide à l'équipe nationale masculine. Le premier Ballon d’or dédié aux femmes lui a en tout cas conféré une reconnaissance planétaire, qu'elle s'évertue à honorer en accordant des interviews.

« Son absence du Mondial signifie que certaines femmes ont encore des choses à exprimer, nous rapportait Jean-Michel Aulas, en juin dernier. Il faut avoir de bonnes raisons pour ne pas disputer une Coupe du monde et moi, ça me suffit. J’ai une confiance absolue en mes joueuses, notamment en Ada. Ce n’est pas Jeanne d’Arc, mais elle exprime une opinion qui avait besoin de réponses. Cela prouve que tout n’est pas réglé dans le foot féminin. Qu’Ada ait décidé de ne pas jouer le Mondial, ça lui en coûte forcément, c’est un vrai sens du sacrifice. Aussi, je la crois, je la respecte, je la soutiens. » Pas tous les jours que le président de l’Olympique lyonnais se livre à un tel message. Ada Hegerberg n’a que vingt-quatre ans. Avec son éthique de travail, son obsession du but, son immersion « dans la performance » , nul doute qu’elle reviendra briguer d’autres Ballons d’or…


Depuis l’obtention de votre Ballon d’or en décembre 2018, vous donnez l’impression de passer votre temps à donner des interviews à des médias du monde entier…Je vais calmer le jeu, mais j’assume mes responsabilités. Mes succès sur le terrain m’ont donné des devoirs, surtout si tu es le premier Ballon d’or féminin de l’histoire. Du coup, j’ai une voix. Je dois en faire quelque chose. Je ne joue pas que pour moi, mais aussi pour les filles qui viennent après nous. Toutes les meilleures ont aujourd’hui cette responsabilité.

En Scandinavie, l’égalité entre les hommes et les femmes…(Elle coupe.) Oui, on est en pointe là-dessus, même s’il reste des progrès à faire. Cette vision de l’égalité, ça vient de ma famille. Je ne me suis jamais posé de questions parce que j’étais une fille, que je jouais au foot. Ma mère a joué un rôle important, elle m’a toujours poussé à m’exprimer.

Nos parents nous responsabilisaient au quotidien, on jouait au foot, on faisait des treks en forêt, on pêchait le saumon à notre guise.

Justement, vos parents, qui étaient footballeurs, refusaient de vous emmener à l’entraînement en voiture. Voulaient-ils tester votre motivation ?On a grandi à Sunndal, un village de 4000 habitants au centre-ouest du pays. Il y a deux grandes montagnes près d’un fjord. C’est particulier d’être originaire de ce coin-là de Norvège. On y développe un humour à nous. Beaucoup de ma personnalité vient de là. Nos parents nous responsabilisaient au quotidien, on jouait au foot, on faisait des treks en forêt, on pêchait le saumon à notre guise. Pour nous, c’était naturel d’aller à l’entraînement toutes seules en vélo. Ils voulaient qu’on soit autonomes, responsables de notre évolution. J’ai pris beaucoup de confiance comme ça.

À quel moment vous êtes-vous dit que vous alliez en faire un métier ? Au début, j’ai pratiqué plein de sports différents : du ski, de la danse, de l’escalade, de l’athlétisme et du handball. Je me souviens d’une fois où j’avais marqué plein de buts au hand, j’étais toute fière, mais ça n’intéressait personne à la maison. Il n’y en avait que pour le foot. Bon, ça tombait bien : j’étais meilleure avec mes pieds qu’avec mes bras. À 13 ans, j’ai fait un stage auprès d’Ole Gunnar Solskjær. Cette rencontre m’a marquée. Il m’a appris beaucoup de choses sur le métier d’attaquante. C’est là que j’ai compris que tous les détails comptent.

Le premier déclic n’est-il pas advenu quand toute votre famille a déménagé à Kolbotn, dans la banlieue d’Oslo en 2006 ?À un moment, il fallait franchir une étape pour grandir comme personne et comme footballeuse. Mon père a trouvé un bon travail près de Koltbotn. Les possibilités y étaient plus nombreuses pour ma sœur (Andrine, pro à l’AS Roma), mon frère (Silas, son aîné de neuf ans, aujourd’hui instituteur) et moi. Il faut sortir de sa zone de confort pour grandir.

C’est seulement quand on a signé toutes les deux notre contrat à Potsdam que j’ai pris conscience que c’était devenu mon métier.

Finalement, quand vous êtes-vous dit que vous seriez professionnelle ?À Sunndal, avec Andrine, on jouait contre des garçons. À Oslo, on évoluait avec des filles. Andrine a débuté dans l’élite à Kolbotn à seize ans (en 2009). Moi, j’ai intégré l’équipe première (à l’âge de 15 ans), l’année suivante. Avec ma sœur aînée, on était ensemble à Koltbotn, puis à Staabek (en 2012), mais aussi en U17, en U19 et en U20 en sélection (U17, U19, U20 et chez les A). C’est seulement quand on a signé toutes les deux notre contrat à Potsdam (en D1 allemande en janvier 2013) que j’ai pris conscience que c’était devenu mon métier.

Lors de votre dernière année en Norvège, vous ouvrez votre palmarès en gagnant la Coupe de Norvège avec Stabaek…(Dépitée.) C’est un gâchis qu’on n’ait pas gagné le championnat cette année-là. C’était dans notre poche. J’ai réalisé que je devais faire quelque chose pour me challenger. Nos deux parents ont été fantastiques. Ils nous ont soutenues lors de notre départ à Potsdam en nous disant qu’on pourrait revenir quoi qu’il arrive. Il fallait essayer, sinon on l’aurait regretté. Sans eux, je n’y serais pas arrivée. Ils nous ont toujours encouragées à suivre notre voie, à rester nous-mêmes et à dire ce qu’on pense. Cette confiance m’habite depuis toute jeune.

Votre sœur a quitté Potsdam au bout de six mois pour signer en Suède. Vous, vous êtes restée un an et demi. Que retenez-vous de votre séjour en Allemagne ?

On vivait dans le même appartement avec Andrine. On s’entraînait, on dînait et je m’endormais dans mes livres le soir, car je suivais des études par correspondance.

C’était rude, mais ça m’a fait grandir. Il y a une vraie culture du travail. J’avais l’habitude en Norvège, mais là… ça a été un choc. Les mentalités sont un peu différentes, c’est très dur, discipliné. En Norvège, tout le monde peut dire ce qu’il ressent, c’est presque trop collectif. En Allemagne, tu ne peux pas. On s’entraînait trois fois par jour, parfois quatre fois. De la quantité plus que de la qualité. On vivait dans le même appartement avec Andrine. On s’entraînait, on dînait et je m’endormais dans mes livres le soir, car je suivais des études par correspondance. C’était spécial, on vivait dans l’ex-Allemagne de l’Est, mais c’était une expérience fantastique. J’avais obtenu ce que je désirais : apprendre une culture et une langue différentes et aller chercher le meilleur de moi-même comme footballeuse et comme personne. Je devais partir pour progresser… Tu ne vas pas de Norvège à l’OL d’un coup, il y a toujours des étapes à franchir.

Signer à l’OL vous a permis de côtoyer la Suédoise Lotta Schellin, votre idole quand vous étiez gamine…Elle était déjà une grande personne qui pensait à l’équipe. Amicale en dehors du terrain et une tueuse sur le pré. Elle m’a montré qu’on pouvait porter ses valeurs, rester soi-même et être la meilleure. Il est facile de se perdre en chemin. Il faut bien se connaître, c’est plus facile pour affronter les challenges.

Vous approchez des 300 buts, alors que vous n’avez que vingt-quatre ans. Une bonne attaquante doit-elle être égoïste ?Une attaquante doit marquer pour porter l’équipe. C’est ça qui sert à nous faire gagner des titres. Cela doit être une obsession parce que t’as envie de bien faire pour ton équipe. Cela doit être une obsession pour toute l’équipe, d’ailleurs. J’ai toujours beaucoup marqué. Au début, je jouais avec les garçons. J’avais déjà le rush, la montée d’adrénaline. J’ai toujours voulu recréer ça. Depuis mes neuf ans, je suis à 100% sérieuse dans tout ce que je fais.

Votre mère, qui a failli être internationale, et votre père, qui a évolué en D2 norvégienne, vous ont-ils donné cette fixation sur le but ?

Quand l’avant-centre connaît des périodes compliquées, il lui faut revenir aux bases, à ses qualités originelles, être gentil avec soi-même. Quand tout va bien, il est plus facile d’être dur à son encontre.

Ma mère était avant-centre, puis elle est devenue défenseuse à la fin de sa carrière. Aussi, je ne sais pas si c’est elle qui me l’a donnée… Depuis toute petite, je travaille devant le but avec mon père. Je le ferai jusqu’à la fin de ma carrière. Marquer des buts, c’est ma contribution pour aider l’équipe. Quand l’avant-centre connaît des périodes compliquées, il lui faut revenir aux bases, à ses qualités originelles, être gentil avec soi-même. Quand tout va bien, il est plus facile d’être dur à son encontre. J’essaie de toujours vivre au présent, de travailler encore plus pour ne pas me faire rattraper. Tout faire avec qualité, c’était un moteur dans notre famille. Le don sans travail, ça ne va pas te servir. Je vis un rêve. Je suis plongée dans la performance.

Quel regard jetez-vous sur les grandes écuries du football européen qui créent des sections féminines ? Cela me ravit que la concurrence s’organise, que des gens investissent, créent des sections féminines. J’espère qu’ils le font parce qu’ils veulent le faire, pas parce qu’ils y sont obligés. Il est important que des clubs fassent ce travail pour nous challenger. On doit rester au plus haut niveau. Chaque année, je me demande toujours comment regagner un titre plutôt que de savoir comment le défendre. La volonté de gagner doit être plus forte que la peur de perdre. J’ai toujours un œil critique sur le foot féminin, je regarde si les paroles sont suivies d’actes. L’important, ce n’est pas de parler, mais de démontrer sur le terrain. L’an dernier, en Ligue des champions, on ne s’est pas baladées contre Wolfsburg (en quarts de finale) et Chelsea (en demies)

À ce propos, vous entamez votre sixième saison à Lyon. Vous y avez tout gagné : quatre Ligue des champions, cinq titres nationaux et quatre Coupes de France. N’avez-vous pas envie d’aller voir ailleurs ?Je suis une personne qui vit dans l’instant présent, il m’est difficile de calculer ce qui va se passer l’année prochaine. Je suis concentrée sur l’entraînement de demain. Ce que je sais, c’est que je vais faire le boulot à 100% pour mon club, avec lequel il me reste encore un an et demi de contrat. J’ai toujours été comme ça. Si tu commences à envisager de partir, c’est facile de perdre ta concentration…

Quand je suis à la maison, j’essaie de me relâcher. Je m’essaie au pilates, j’aime bien, ça travaille tout le corps.

Qu’est-ce que vous faites quand vous ne jouez pas au foot à Lyon ?Je lis beaucoup, des romans, des biographies. Jo Nesbo, t’es obligée quand t’es norvégien… Roy Jacobsen et son best-seller Les Conquérants. J’essaye de sortir de ma bulle foot où tu penses toujours à être la plus performante possible. Ça me fait du bien. Quand je suis à la maison, j’essaie de me relâcher. Je m’essaie au pilates, j’aime bien, ça travaille tout le corps. Je vais au cinéma. Plus Tarantino que les Avengers, des films de festival, d’art… Je regarde du foot, aussi. Beaucoup trop. J’y apprends des trucs sur mon jeu.

Quel regard jetez-vous sur Greta Thunberg ?Elle est très courageuse, déjà. Ce qui me surprend le plus, c’est qu’elle essaye de porter un message au monde et qu’il y ait des adultes de cinquante ans ou plus qui arrivent à la harceler, à critiquer une fille, une femme qui délivre de telles ondes positives. Je me demande comment est-ce possible et pourquoi.

Aujourd’hui, il y a des collectifs de femmes qui décomptent au jour le jour les violences faites aux femmes…(Elle coupe…) Je ne comprends pas comment le mot féministe peut être encore aujourd’hui considéré comme péjoratif, alors que c’est vouloir l’égalité entre les femmes et les hommes. Le sujet est toujours chaud. Tous les jours. Il y a des discriminations beaucoup plus graves ailleurs que dans le foot. Ceux qui sont contre l’égalité, de quoi ont-ils peur ? De perdre le pouvoir ? D’être challengés ? On n’est pas là pour prendre le pouvoir, mais pour le partager, c’est ça l’égalité. Certains jours, j’ai cent questions dans la tête et je ne trouve pas de réponse. J’essaie de rester positive…

Prendre soin de soi-même, de sa vie privée, ça te donne un équilibre.

Il y a quatre ans, lors d’une interview, vous nous aviez dit ne pas concevoir entamer une relation à distance. Or, là, vous êtes fiancée avec Thomas Rogne, un footballeur norvégien qui joue au Lech Poznań, en Pologne.Je ne savais rien à ce moment-là. (Elle rit.) Impossible de comparer. Je ne sais pas pourquoi j’avais dit ça, j’étais tellement tranquille en plus. Là, c’est complètement différent. Prendre soin de soi-même, de sa vie privée, ça te donne un équilibre. La carrière ne dure qu’un temps. On accepte, on l’assume, on se comprend bien, on sait qu’on va partager toute la vie ensemble après le foot.

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Propos recueillis par Thomas Rostagni

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