- JO 2024
À Marseille, haro sur les JO
Alors que la ville s’est ornée des apparats olympiques pour accueillir - entre autres épreuves de voile - dix matchs des tournois féminin et masculin de Paris 2024, des militants anti-JO se mobilisent depuis plusieurs semaines afin de pointer du doigt certaines conséquences locales du giga-événement. Un mouvement parfois diffus, mais des alertes qui ouvrent forcément le débat.
8 mai dernier. Après une parade en majesté tout au long de la journée dans la baie de Marseille, le Belem et ses trois-mâts se faufilent dans le Vieux-Port. Comme toutes les caméras du monde entier, les yeux des 150 000 personnes venues assister à la fête sont braqués sur celui qui fait débarquer la flamme olympique sur le sol français. Nuque longue douteuse et moustache fine, Florent Manaudou transmet celle que tout le monde attend à Nantenin Keita. La quadruple médaillée paralympique fait la passe dé à Jul. L’ovni embrase le chaudron olympique. Et toute la ville avec. Six heures auparavant, à quelques encablures de là, autre salle, autre ambiance : sur une place adjacente au métro Réformés-Canebière, une poignée de manifestants se regroupe sous le regard de policiers en civil peu discrets, également de la partie. Dans la lignée du Carnaval indépendant qui a attiré environ 6000 personnes dans le quartier de La Plaine deux mois auparavant avec pour mot d’ordre la « flemme olympique », leur message semble, à première vue, assez limpide : Marseille ne veut pas des JO.
Il n’est pourtant là pas question d’un énième rejet (soi-disant automatique) de tout ce qui infuserait de la capitale ou du classico-poncif sur la rivalité entre l’OM et son meilleur ennemi, mais bien des impacts de l’événement dans la cité phocéenne, jugés aussi délétères que dangereux. Sociologue et auteur de Du Taudis au Airbnb – Petite histoire des luttes urbaines à Marseille de 2018 à 2023 (Éditions Agone), Victor Collet affirme qu’entre l’Euro 2016 et Paris 2024, Marseille a vu son nombre de logements disponibles divisé par quatre. « Dans le même temps, on est passé de 4500 à 16000 mis en ligne sur Airbnb. Cette spéculation, qu’un événement comme les Jeux ne peut que favoriser, contribue au mal logement, alors que la ville est déjà dans un état d’urgence sociale et locative. » Le tout, alors que les stigmates des effondrements de deux immeubles qui avaient coûté la vie à huit personnes rue d’Aubagne en novembre 2018, peinent à se refermer.
Un pavé dans la Marina
Parmi les autres revendications de la trentaine d’associations et collectifs ayant rejoint le mouvement anti-JO local, la mise aux normes de la base nautique du Roucas-Blanc, un des coins les plus chics de la ville, fait grincer de nombreuses dents. La raison ? L’explosion du coût des travaux – de 39 à 50 millions d’euros – injectés sur un projet dont le fameux héritage post-JO, qui demandera d’ailleurs de nouveaux aménagements pour être accessible au public, ne profitera qu’à une frange de la ville déjà largement favorisée, alors la question de l’accès au littoral pour les habitants des quartiers les plus paupérisés ne trouve encore que très peu d’écho. Lui aussi dans le cortège qui a convergé vers la Porte d’Aix le 8 mai, Félix Tréguer redoute que les JO ouvrent en grand la voie à une « policiarisation du centre-ville ». Pour le chercheur associé au Centre Internet et Société du CNRS et membre de l’association La Quadrature du Net, qui prône la défense des droits humains dans le contexte d’informatisation, « Marseille passe un nouveau cap durant les Jeux, avec 500 caméras de surveillance installées en plus des 1650 déjà existantes. Mais ce qu’on peut craindre davantage, c’est l’élargissement de la vidéosurveillance algorithmique, qui a été spécialement légiféré pour les JO. » Traduction : comme ce qu’il pressent pour Paris, le chercheur dénonce le fait que ce mode de tracking qu’Amnesty International a récemment décrit comme préoccupant en matière du droit à la vie privée et à la liberté d’expression pourrait bien, lui aussi, faire partie de l’héritage olympique marseillais.
Les JO de 2030 dans le viseur
Ne niant pas l’attrait des Jeux et leur appétence à rassembler, Pixel (comme beaucoup de ses « collègues », il a choisi un pseudo à vous rappeler le dernier film du tandem Nakache-Toledano afin de rester discret) est de ceux pour qui les JO deviennent trop facilement un alibi : « On ne conteste pas pour le simple plaisir de contester. Mais un tel événement ne peut plus céder à autant de logiques marchandes qui abîment la ville, les liens sociaux, et notre environnement ». L’environnement, c’est, entre autres, ce qui a incité Oriane (son prénom a été modifié) à s’investir au sein du collectif NO JO qui, malgré l’attribution des Jeux d’hiver de 2030 aux Alpes françaises cette semaine, ne baissera pas pavillon. « Pour Paris, c’est fini, le bulldozer est déjà passé. Mais on va tout faire pour que la décision prise sans consulter la population locale soit remise en question. » Des bassins de flotte pour alimenter les canons à neige en passant par les projets de routes qui déchireraient le paysage, on décèle chez elle le profil de l’activiste prête à se menotter à des arbres pour défendre la cause.
Après avoir mis le sujet en stand-by pour se concentrer sur le porte-à-porte effectué entre les deux tours des élections législatives afin de faire barrage à l’extrême droite, les anti-JO se sont de nouveau retrouvés sur le Vieux-Port, ce jeudi. Sans Jul, mais avec toujours autant de détermination, ils ont déployé une banderole « pas de médaille pour la démocratie », en anglais dans le texte, et rappelé aux badauds qui passaient par là pourquoi Paris 2024 rime selon eux avec cynisme. Choix de partenaires au bilan carbone désastreux, présence de la délégation israélienne alors que l’état hébreu est accusé de crime contre l’humanité à Gaza par l’ONU, recours au travail dissimulé – notamment effectué par des sans-papiers – pour livrer les infrastructures en temps et en heure, etc. : la liste est longue et les combats multiples. Et même si Michel Platini a affirmé qu’il n’en avait rien à carrer, à Marseille et dans toute la France, les tournois de football masculin et féminin, eux, sont bel et bien lancés.
Par Damien Guillou, à Marseille
Tous propos recueillis par DG