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Les supporters français à la recherche du plaisir perdu
L’équipe de France s’échappe du Signal Iduna Park et de la phase de poules sans avoir marqué un but dans le jeu. La partition des Bleus lors de ce premier tour est loin d’avoir égayé les supporters qui ont suivi la caravane tricolore.
Les trois coups de sifflet viennent de retentir. Les mains sur les hanches, l’œil hagard, Kylian Mbappé et consorts scrutent les tribunes, sans doute pour trouver des réponses à une partie qu’ils ont laissée filer contre des Polonais, déjà qualifiés, et longtemps apathiques. Certains cherchent du regard leur famille au-dessus du banc de Didier Deschamps, d’autres se dirigent naturellement vers la tribune bleue… Les bras déjà levés, prêts à remercier la dizaine de milliers de supporters français qui se sont déplacés jusqu’à Dortmund, dans l’est de l’Allemagne. De l’autre côté des barrières, Jérémie, tunique toute neuve floquée Camavinga sur le dos, n’est pas du genre à rechigner sur les applaudissements. « Surtout, quand on n’est pas bon. » Mais celui qui est venu de Rouen pour suivre les Bleus lors des trois premiers matchs du parcours tricolore sort de la phase de poules « un peu frustré ». « On n’a pas vu un but dans le jeu… en 270 minutes. » Aux abords du stade, Gauthier partage cet arrière-goût de privation : « Je comprends Deschamps quand il dit qu’il est payé pour gagner. Il a raison, et je suis prêt à gagner l’Euro en jouant mal. Mais sur le moment, tu as payé ta place, le billet d’avion, tu sors de ce match, tu as les boules. » Voilà que le serpent se remet à se mordre la queue… L’éternel débat autour du jeu de l’équipe de France revient sur le devant de la scène…
La question avait d’ailleurs été posée en conférence de presse à Didier Deschamps à la veille de ce troisième match contre la Pologne. Et la réponse du sélectionneur a eu pour effet de remettre une pièce dans le jukebox : « Je pense que si les gens n’aiment pas ce qu’ils voient, ils changent de chaîne, c’est plus facile à la maison. Quand ils sont au stade, ils ont payé le billet, ils restent jusqu’à la fin. » « Ah ça c’est sûr, si j’avais été devant ma télé, j’aurais éteint. J’ai eu l’impression de voir un match de handball. Tu es vice-champion du monde et tu finis derrière l’Autriche dans ta poule en proposant un tel jeu », s’emporte Nicolas quand on lui rappelle la formule du sélectionneur. De manière plus générale, dans les salons et les bars de l’Hexagone, les audiences des matchs en clair sur TF1 et M6 sont en léger recul par rapport à la précédente tournée estivale, lors de l’Euro précédent (11,2 millions devant Autriche-France contre 15,1 devant France-Allemagne en 2021), le tout dans un contexte politique particulier qui a tendance à reléguer le foot au deuxième plan.
Une dent contre Deschamps
En quelques rencontres, qu’on peut élargir à toute cette saison 2023-2024, Didier Deschamps est venu réveiller un vieux cadavre qui dormait depuis des mois dans le placard : la sempiternelle interrogation autour de l’identité de jeu. Le débat semblait être rangé dans de beaux draps, à l’instar des déclarations d’Aurélien Tchouaméni, invité à s’exprimer devant la presse lundi, qui avait fait du Deschamps dans le texte : « Il y a des personnes qui veulent bien jouer. D’autres qui veulent gagner en jouant bien. D’autres qui veulent juste gagner. Personnellement, le plus important, c’est de gagner. » Seulement, l’équipe de France n’a gagné qu’une seule de ses trois premières sorties de cet Euro et vient d’enchaîner deux matchs nuls. Elle donne parfois l’illusion d’osciller, d’un côté, entre un jeu de grands espaces fait de contres attaques, et de l’autre, des phases de construction plus lentes, plus élaborées qui confinent à l’improductivité.
« Après trois matchs, on ne sait toujours pas quel est le visage de cette équipe, quoi en penser. Je trouve qu’on manque de jeu à l’intérieur quand Giroud n’est pas là, le problème est que quand il rentre, il apporte peu. Vu le tableau qui s’ouvre, ce n’est pas rassurant », souligne Jérémi, bob de l’Aviron bayonnais sur le crâne. Et à Gauthier d’ajouter : « Je pense que DD est aussi responsable de notre jeu apathique, il n’y a que de l’appui remise. Avec Barcola, Mbappé et Hernandez on a trois joueurs dans la même zone. Je ne suis pas convaincu par Mbappé en 9. » En conférence de presse, Didier Deschamps n’a pas affiché la même inquiétude. D’une humeur badine, il s’est même montré satisfait de la copie rendue par son équipe, et plus largement par le visage affiché par son équipe durant ce premier tour : « Je ne suis pas déçu. Pas du tout, sincèrement. On a fait ce qu’il fallait. L’homme du match est leur gardien. Il a fait beaucoup d’arrêts. On a essayé jusqu’au bout. On était dans un groupe très dense. L’objectif est atteint. C’est un nouveau tournoi qui commence le 1er juillet. » Le rendez-vous est pris : Jérémi pourrait être là. « C’est vraiment là où va voir si cette équipe se transforme en machine de guerre, comme lors des précédents tournois ! »
Par Hugo Lallier, à Dortmund