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1998-2018, tel pères, tel fils

Par Adrien Candau
1998-2018, tel pères, tel fils

Vingt ans après Saint-Denis, Gloria Gaynor et la tronche de Zizou sur l'Arc de triomphe, la France s'est envoyée un shot d'euphorie pour fêter ses nouveaux héros. Exactement comme en 1998. Stylistiquement, l'équipe de Deschamps s'est aussi inscrite dans la ligne pragmatique défendue par Aimé Jacquet.

« Cela serait présomptueux de dire que c’est mon fils spirituel. Je pense qu’on a sûrement, modestement, à peu près la même trajectoire, la même philosophie de foot et de vie. » Les mots sont d’Aimé Jacquet, qui évoquait alors le cas de Didier Deschamps. Un homme qui, comme Jacquet en son temps, a dû se blinder mentalement contre les critiques véhémentes à l’encontre du jeu développé par ses Bleus. Pour monter sur le toit du monde, à la fin des fins. Si la manière rebute certains, cette équipe de France s’est pourtant construite sur une identité, un héritage même. Celui de 1998 et de Deschamps.

Le miroir de Deschamps

Tous ceux qui étaient de la finale de Saint-Denis face au Brésil le disent. Les Bleus de 2018 sont à l’image de Deschamps et d’une certaine idée du football que le sélectionneur s’est forgé non seulement en remportant le Mondial en tant que joueur il y a 20 ans, mais aussi en Italie, à la Juventus. Celle où la victoire constitue l’alpha et l’oméga du projet. Pour se donner les meilleures chances d’y goûter, la solidité et l’organisation défensive sont supposées primer sur les mouvements offensifs et les attaques placées. La ligne est claire et, n’en déplaise aux ayatollahs du style, celle de Deschamps a ses mérites, ses valeurs cardinales, au premier rang desquelles la solidarité, l’esprit de groupe et la rigueur tactique, qui triomphent sur toute forme d’individualisme. Tout cela, bien sûr, s’inscrit dans la lignée directe de 1998, où les Bleus avaient fonctionné selon le même schéma.

La formule est complexe, mais on peut toujours essayer de définir son essence en quelques points… D’abord, un attaquant de pointe sacrifié sur l’autel du collectif, auquel on a confié un rôle plus besogneux que virtuose. S’y ajoute un entrejeu qui s’est progressivement bétonné au fur et à mesure de la compétition : un chouia plus offensive en phase de groupes en 1998, la France était passée à trois milieux défensifs à partir des quarts de finale face à l’Italie, en misant systématiquement sur son trio de récupérateurs Karembeu – Deschamps – Petit. Celle de 2018 a fait évoluer Olivier Giroud en retrait et a sacrifié un ailier gauche au profit de Blaise Matuidi, afin de se donner les moyens de récupérer les ballons haut.

Le tout fut alimenté par un esprit de groupe inébranlable, admirable même, où les individualités les plus virtuoses se sont organiquement fondues dans le collectif : si le doublé de Zidane a sacralisé son image de sauveur dans l’esprit des Français, il est depuis admis que la France n’avait en réalité pas un héros, mais plusieurs en 1998 – de Thuram à Blanc en passant par Deschamps – qui formaient un tout cohérent. Vingt ans plus tard, le principe est le même : le génie de Kylian Mbappé, pourtant buteur en finale et joueur frisson de ce Mondial 2018, n’a pour autant pas éclipsé le mérite de ses autres partenaires. Paul Pogba, lui, a laissé de côté ses effets de manche et ses tours de passe-passe cosmétiques pour embrasser les valeurs de Deschamps, cette culture de l’effort et du sacrifice, qui lui a permis d’épurer son jeu.

Dans un parallélisme évident avec 1998, les défenseurs – Pavard, Varane puis Umtiti – ont marqué en huitièmes, quarts et demi-finales, comme Blanc et Thuram l’avaient fait face au Paraguay et la Croatie vingt ans plus tôt. Comme une réminiscence du fameux « dépassement de fonction » si cher à Aimé Jacquet. Jacquet, qui avait construit une équipe à son image, besogneuse, humble, solidaire, comme Deschamps l’a fait avec la sienne en 2018, en s’inspirant du professeur. Car sur le pré, la France de 2018 restera d’abord comme celle de Deschamps, plus que celle d’un seul joueur érigé en icône. Une équipe qui fut « une équipe de chiens, jusqu’au bout, comme s’enthousiasmait Bixente Lizarazu. Elle ressemble à Didier, au joueur qu’il était, au capitaine qu’il était, et en tant que sélectionneur je trouve que son grand mérite, contre vents et marées, c’est d’avoir constitué une armée en quelque sorte. »

Débats et Deschamps

Pourtant, tout le monde n’y a pas trouvé et n’y trouvera pas son compte. Si la victoire est unanimement saluée, la manière, elle, divise. Hatem Ben Arfa a déjà eu le courage de dire tout haut ce que certains pensent tout bas : « Chapeau M. Deschamps ! Mais, maintenant, à sa place, je partirais sur ce coup d’éclat… Pour moi, ce serait dangereux de se cacher derrière cette deuxième étoile pour faire du jeu des Bleus une référence mondiale… On ne va pas se le cacher : le style et l’identité ultra réalistes des Français sont assez moches. Et je n’ai pas envie que ce style-là devienne désormais la norme dans les centres de formation ou les clubs, puisque l’on a souvent l’habitude d’essayer de copier le nouveau champion du monde… »

Le débat est ouvert, entre ceux pour qui la victoire prime sur tout et les partisans d’un esthétisme plus porté vers l’offensive. Une baston idéologique inévitable, qui existe depuis déjà des décennies dans bien des pays de football, comme en Argentine, où les Bilardistes et les Menottistes ne sont pas près d’arrêter de s’envoyer des gnons. Elle s’annonce passionnante, bien que parfaitement insoluble, les deux écoles de pensées ayant probablement chacune leurs mérites et leurs torts. Didier Deschamps observera sans doute tout cela d’un œil amusé et lointain, lui qui devrait prolonger son bail avec l’équipe de France au moins jusqu’en 2020. Les Bleus continueront sans doute de lui ressembler, quitte à prolonger encore un peu plus leur filiation avec France 1998. Une filiation qui n’a peut-être pas fini d’inspirer le football français et de faire grossir son palmarès.

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Par Adrien Candau

Propos de Hatem Ben Arfa issus de France Football, ceux de Bixente Lizarazu issus de RTL.fr

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